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Officiers et anciens élèves -
Marie Jean Lucien LACAZE
(1860 - 1955)
Né le 22 juin 1860 à
PIERREFONDS (Oise) - Décédé le 23 mars 1955 à PARIS VIIIe (Seine).
Fils de Joseph Honoré,
médecin et de Marie Julie LORY des LANDES : petite fille de André
Lory (Lory des Landes), né entre 1750 e 1779, Lieutenant de
vaisseau.
Inhumé au cimetière
Montparnasse 16e division / PARIS
Entre dans la Marine en
1877 (port LORIENT)
Aspirant le 5 octobre 1880.
En 1881, à bord du
cuirassé d'escadre "PROVENCE", Division navale du Levant (Cdt Arsène
REYNAUD DE BARBARIN), puis sur la "REINE-BLANCHE" pendant la
campagne de TUNISIE.
En 1882, sur le "GALISSONNIÈRE", au Levant.
Enseigne de vaisseau le
5 octobre 1882.
De 1883 à 1885, sur le croiseur "BEAUTEMPS-BEAUPRÉ",
Division navale de l'Océan Indien (Cdt Émile ESCANDE).
Au 1er
janvier 1886, Second sur l'aviso "CIGALE", Station locale du SÉNÉGAL
(Cdt Albert MARCETTEAU DE BREM).
Lieutenant de vaisseau
le 29 mai 1886.
Officier breveté Torpilleur.
En septembre 1888,
Commandant la "MÉSANGE" au SÉNÉGAL.
En avril 1890, Second sur le
"D'ESTRÉES".
En 1891, Commandant un torpilleur numéroté à CHERBOURG.
En 1892, 1893, Officier de manœuvre sur le "RICHELIEU" et le
"FORMIDABLE", Escadre de Méditerranée.
Chevalier de la Légion
d'Honneur.
En 1894,1896,
Commandant la canonnière "ESTOC", au TONKIN. En juillet 1897,
Commandant les torpilleurs de réserve à ALGER.
Capitaine de frégate le
1er octobre 1899, il commande le "CHASSELOUP-LAUBAT" à CHERBOURG.
En
août 1900, sur le croiseur cuirassé "POTHUAU", Chef d'État-Major
auprès du Contre-amiral Léonce CAILLARD, Commandant une division de
l'Escadre de Méditerranée.
Extrait Illustration
Remerciements François-Xavier Kessler
30 décembre 1901 -
Promu Officier de la Légion d'honneur pour « services exceptionnels
lors de l'occupation de Mithylène : a, par son tact et la fermeté de
son attitude, désarmé la résistance de l'autorité militaire turque ;
par l'habileté de ses mesures d'ordre, a réussi à éviter un conflit
imminent entre nos détachements de marins et les troupes turques ».
En 1902, Chef d'État-Major de la Division
de TUNISIE. Au 1er janvier 1903, port CHERBOURG.
Officier de la Légion
d'Honneur. Officier de l'Instruction publique.
Le 8 juillet 1903,
Commandant le "DU-CHAYLA", en Méditerranée. Idem au 1er janvier
1904.
En 1905, Second sur le "CHÂTEAURENAULT", Escadre du Nord.
Au
1er janvier 1906, Attaché naval à ROME.
Capitaine de vaisseau
en août 1906.
Chef d'État-major de l'Escadre de Méditerranée fin
1907.
Au 1er janvier 1911, (nomination du 27 octobre 1909),
Commandant le cuirassé "MASSÉNA", porte-pavillon du
Contre-amiral
Pierre LE BRIS, Commandant la Division des Écoles de canonnage.
Contre-amiral le 24 octobre 1911, Chef de Cabinet du Ministre de la
Marine DELCASSÉ.
En août 1913, Commandant la 2ème Division de la
1ère Escadre, pavillon sur le "MIRABEAU", puis le "VOLTAIRE" en
1914.
En 1915 /
Source web
Remerciements François
Schwerer / Sur le "VOLTAIRE"
Ministre de la Marine
d'octobre 1915 au 2 août 1917.
Extrait Le petit journal / 5 novembre 1916
25 juillet 1917
Foch, amiral Lacaze, général Pétain, conférence des alliés - Source
/
Lien web - Remerciements Christian Marguerye
Source /
Lien web - Remerciements Christian Marguerye
A gauche, l'amiral Le Bon
Source /
Lien web - Remerciements Christian Marguerye
9 décembre 1915
Commandeur de la Légion
d'Honneur.
L'amiral Lacaze, décoré
de le Grand-croix de St Michel et St Georges
Vice-amiral le 22
septembre 1917.
Préfet maritime du 5ème
arrondissement à TOULON, le 1er novembre 1917.
Source web
Vice-président du
Conseil supérieur de la Marine en 1919.
Extrait album Jeanne
d'Arc - 1920
Il quitte le service actif
en juin 1922.
Par ailleurs Membre de
l'Académie des sciences coloniales, de l'Académie des Beaux-arts, de
l'Académie française,
Président de l'Académie
de Marine de 1928 à 1929
Président de la Société
des Œuvres de mer de 1933 à 1939
Extrait La Dépêche de
Brest / 17 février 1939
Remerciements Photo / Œuvres de mer
Complément 1 :
Marie Lucien Lacaze, plus connu sous le nom de Lucien Lacaze et
communément appelé l'amiral Lacaze, est né le 22 juin 1860 et mort
le 23 mars 1955.
Il est reçu à l'École navale en 1879 et fait
campagne au Sénégal, aux Indes et au Tonkin avant de devenir attaché
naval à Rome puis chef d'état-major de l'amiral Germinet. Il est
nommé chef du cabinet du ministre de la Marine du gouvernement de
Delcassé.
Durant la première guerre mondiale, il commande une division de
l'escadre de la mer Méditerranée puis est chargé d'organiser le
transport d'un corps expéditionnaire en Orient.
De 1915 à 1918, il est plusieurs fois nommé Ministre de la Marine.
Membre de l’Académie de marine en 1921 et membre de l’Académie des
beaux-arts en 1935, l'amiral Lacaze est élu au premier tour à
l'Académie française le 12 novembre 1936.
Extrait Le Nouvelliste du Morbihan / 13 novembre 1936
Source web
Source / Photovintage - Arnaville
Complément 2 :
Le 28 novembre 1957, M.
Jacques Chastenet, ayant été élu par l’Académie française à la place
vacante par la mort de M. Lucien Lacaze, y est venu prendre séance
le jeudi 28 novembre 1957 et a prononcé le discours dont voici
l'extrait :
Lucien Lacaze naquit à
Pierrefonds, il y a de cela quatre-vingt-dix-sept ans, un peu par
hasard.
Sa famille paternelle était originaire du comté de Foix, mais son
grand-père, poussé par le démon de l’aventure, s’était venu établir
à l’île Bourbon rebaptisée par la Révolution île de la Réunion. Le
fils de cet audacieux y resta, joignit l’état de médecin à celui de
planteur et épousa une créole de bonne souche nantaise descendante
d’un officier de marine ayant servi sous le bailli de Suffren. Un
garçon était déjà né de ce mariage quand le docteur Lacaze résolut
de faire connaître à sa jeune femme la patrie des ancêtres.
En 1860, un voyage de tourisme en France comportait, presque
d’obligation, une halte à Pierrefonds dont le château fort venait
d’être reconstitué par Viollet-le-Duc, avec peut-être plus de verve
que d’exactitude. Mme Lacaze était enceinte ; c’est à l’ombre de ces
tours féodales flambant neuves qu’elle donna le jour à votre futur
confrère.
Sonne bientôt l’heure du retour. L’entreprise française d’intérêt
mondial conçue par le génie de Ferdinand de Lesseps, si elle est en
bonne voie, n’est point achevée. Le canal de Suez n’est pas encore
ouvert à la navigation. La famille Lacaze doit donc faire traversée
par la route Atlantique et c’est dans les langes que le jeune Lucien
double le Cap des Tempêtes.
Ses premières années s’écoulent au domaine que les siens possèdent
tout près de Saint-Denis, le chef-lieu de la Réunion.
Quelle chance pour un enfant que de s’éveiller à la vie dans une île
qui, lorsque je la visitai l’an passé, me sembla avoir été exprès
créée pour servir de cadre à des contes de fées !
Perle irisée et baroque de l’océan Indien, La Réunion rassemble sur
une étroite surface toutes les merveilles de la nature et nombre de
ses épouvantes. Ses rives sont tantôt bordées d’un sable blanc que
caresse une eau circonscrite par une ceinture de coraux, tantôt
dressées en abruptes falaises. La plaine est brève que les champs de
canne à sucre colorent d’un vert tendre. Au delà se cabre la
montagne déchiquetée, parsemée de cratères, creusée de cirques
sauvages, hérissée de pics neigeux. Les lianes se tordent, les
palmes bruissent sous le vent, des cascades chantent. Luxuriance et
désolation s’entremêlent. Les fleurs les plus parfumées éclosent
avec une libre profusion pour être, en moins d’une seconde, écrasées
par le cyclone... Bref, un Eden, mais sans cesse guetté par les
foudres de la colère céleste.
On ne saurait tout à fait échapper à l’influence d’un tel milieu.
Certes Lucien Lacaze n’offrira absolument rien de la nonchalance
créole ; mais, bercé qu’il fut par les complaintes que lui
chantaient, dans leur zézayant patois, des servantes noires naguère
esclaves, il gardera une imagination ardente, une sensibilité
toujours prête à s’éveiller, un goût prononcé pour la musique, une
familiarité spontanée enfin avec toutes les créatures vivantes.
Le voyez-vous, déjà grandelet, qui, juché sur un bourricot, dévale
de l’« habitation » paternelle vers l’aimable ville de Saint-Denis
dont on lui fait fréquenter l’école. De cette école il s’échappe
parfois pour courir à la grève ; il hume l’odeur de la mer, il se
complaît au bruit des vagues et cette odeur, ce bruit, ne cesseront
jamais de le hanter.
Un dessein se forme en son esprit, que va préciser une rencontre.
Les colonies sont encore, comme au temps de Richelieu, choses de la
Marine et elles ont d’ordinaire pour gouverneurs des amiraux. Celui
qui règne à Saint-Denis vient un jour dîner chez les Lacaze. Lucien
admire son uniforme, sa prestance, son air d’autorité ; il
s’enchante des quelques récits que fait à table le loup de mer aux
favoris bien taillés. Dès lors le parti du garçonnet est arrêté et
il n’en démordra point : lui aussi sera marin.
Le docteur Lacaze est un homme de sens qui n’entend pas contrarier
une vocation certaine. Non sans émotion il embarque Lucien, alors
âgé de douze ans, à destination de la France. Des dispositions ont
été prises pour que l’adolescent poursuive ses études au collège
réputé que les Jésuites dirigent à Sarlat.
Sévère ville, étrangement différente, avec ses ruelles sombres, ses
maisons à pignon, des vaporeux espaces de La Réunion ; sévère
collège aussi, où la discipline est implacable et où, qui en hiver
se veut laver, doit d’abord briser la glace de la fontaine. Bien que
chétif d’apparence, Lucien supporte gaillardement ce régime et, au
bout de trois années, passe sans difficulté au Lycée de Lorient qui
a pour spécialité de préparer à l’École navale.
On y entre alors jeune. Notre garçon n’a que dix-sept ans quand il
est reçu. Bon en mathématiques, bon en lettres, son point faible
s’est révélé la géographie.
— Comment pouvez-vous être marin si vous ne savez pas mieux la
géographie ? lui a dit l’examinateur.
Mais Lucien, sans se démonter, a répliqué :
— C’est précisément pour avoir l’occasion d’apprendre la géographie
que je veux être marin.
L’examinateur fut désarmé...
Lacaze est déjà le vif-argent, le « petit diable sortant d’une boîte
», qu’il restera jusqu’à sa mort. Son adresse comme son insouciance
du danger vont bientôt lui valoir un prix d’« agilité dans le
gréement ». Nageur hors ligne, un jour qu’au cours d’une manœuvre de
corvette un de ses camarades, l’élève Mercier de Lostende, a été
précipité par un coup de roulis dans les tourbillons du goulet de
Brest, Lacaze plonge sans hésiter et arrache le malchanceux à la
noyade. Ce geste de courage lui vaut une médaille de sauvetage dont
il se montrera toujours plus fier que d’aucune autre décoration.
Son apprentissage terminé, voici Lacaze aspirant de marine et
faisant, comme tel, sa croisière d’application sur la frégate La
Flore.
La grande révolution commencée dans la construction navale sous le
Second Empire n’est pas achevée ; les navires en fer et à vapeur
n’ont point encore tout à fait supplanté les navires en bois et à
voiles. Sans doute les premiers cuirassés sont-ils déjà en service
et tous les bâtiments d’escadre comportent-ils des machines. Mais
elles ne sont souvent que supplétives et chaque officier doit
posséder à fond le secret des manœuvres asservissant les vents les
plus contraires aux nécessités de la course. Ravissantes manœuvres
exigeant à la fois science, intuition et promptitude dans la
décision. Et quelle belle langue, aussi précise que drue, que celle
dans laquelle sont proférés les commandements :
— Aux bras du vent et aux drisses des huniers... Brassez !
— À carguer partout et brasser carré... Au hâle-bas du grand foc...
Carguez !
N’ayant jamais servi qu’à terre, je ne suis, dans l’argot du Borda,
qu’un pesant « éléphant ». Vous confesserai-je que ces formules,
dont je ne suis pas assuré de pénétrer tout le sens, me semblent
chargées de magie incantatoire ?...
Le midship Lacaze n’est pas insensible à leur poésie. Mais,
contrairement à certains de ses camarades, il n’en gardera pas la
vaine nostalgie. Déjà son esprit toujours en mouvement se tourne
vers l’avenir, déjà il s’intéresse aux techniques naissantes, déjà
il laisse pressentir le chef novateur qu’il sera plus tard.
1881. La France, quelque temps écrasée sous le poids de la défaite
subie en 1870, commence à se rendre compte que, si elle a été
battue, elle n’a point été atteinte dans ses œuvres vives et que
l’heure est venue pour elle de faire sa rentrée dans la grande
politique internationale. Un homme d’État aux vues amples, Léon
Gambetta, veut saisir l’occasion que lui offrent les incidents
sanglants dont l’Égypte est alors le théâtre pour amorcer une
étroite association entre notre pays et la Grande-Bretagne. Les
flottes conjuguées des deux puissances bombardent Alexandrie et
l’aspirant Lacaze participe à l’opération. Une crise ministérielle
fait, hélas ! qu’elle tourne court du côté français et que les
Anglais en retirent seuls le bénéfice. Nous n’avons pas encore
appris que la pire des politiques est la politique discontinue.
L’apprendrons-nous jamais ?
La Troisième République débutante est par bonheur féconde en hommes
de gouvernement. Gambetta écarté, Jules Ferry paraît qui pressent
lui aussi le rôle que la France se doit de jouer dans un monde qui a
cessé d’être cloisonné en compartiments étanches. Rôle conforme,
certes, à l’intérêt national, mais aussi civilisateur et humain. La
fondation du nouvel empire français d’Outre-Mer commence par
l’occupation de la Tunisie, occupation que légitime le souci de
défendre l’Algérie contre les incursions de tribus pillardes et
grâce à laquelle un pays misérable, livré à l’anarchie, deviendra
une terre fertile et policée. Nonagénaire, Lacaze contera encore
volontiers comment, à la tête d’une section de fusiliers-marins, il
débarqua à Sfax, puis à Gabès, sans presque rencontrer de
résistance.
En même temps que marin et parce que marin, votre futur confrère va
se révéler colonial. Au cours des années suivantes, on le voit
successivement à Madagascar, au Sénégal, au Tonkin enfin où une
amitié naît entre lui et un chef d’escadrons d’opinions non
conformistes appelé Hubert Lyautey. De ses contacts prolongés avec
les choses et les gens d’outre-mer il conservera toujours, en même
temps qu’une juste fierté de ce qu’il aimera à nommer « la plus
grande France », un sentiment de sympathie presque fraternelle à
l’égard des populations indigènes. Un colonial, ai-je dit.
Assurément, mais à aucun degré un « colonialiste ».
Estimé de ses supérieurs, respecté de ses subordonnés, Lacaze a
rapidement gravi les premiers échelons de la hiérarchie. En 1902 il
est capitaine de frégate quand l’amiral Merleau-Ponty, qui commande
la division navale de Tunisie, le prend pour chef d’État-major. À ce
titre il va collaborer très activement à la création de la base
navale de Bizerte : déjà il mesure toute l’importance qu’elle aura
comme verrou de la Méditerranée centrale.
Les travaux coûtent cher. Le ministre de la Marine d’alors, le
fantaisiste et hirsute Camille Pelletan, craint une interpellation
parlementaire. Mandé rue Royale, le commandant Lacaze s’entend dire
que la construction du port doit être interrompue. Il proteste,
donne ses raisons. Pelletan finit par se laisser convaincre et
Bizerte est sauvé.
Première négociation de notre marin, son premier contact aussi avec
les milieux politiques. Il s’est montré habile à manœuvrer parmi
ceux-ci, adroit à mener à bien celle-là : une voie nouvelle s’ouvre
à son activité.
Ses chefs n’hésitent pas à l’y engager. En 1906, promu capitaine de
vaisseau, il se voit nommé attaché naval à Rome.
Notre ambassade auprès du gouvernement italien est alors un poste de
toute première importance car on y travaille à distendre, sans rien
brusquer, les liens d’alliance unissant l’Italie à l’Allemagne et à
l’Autriche-Hongrie. Tâche ardue, mais dont s’acquitte avec maîtrise
l’ambassadeur Camille Barrère, lequel, après avoir été quelque peu
communard au temps de sa folle jeunesse, est devenu le majestueux
modèle du grand chef de mission.
Depuis 1904 les relations diplomatiques sont rompues entre la
République française et le Saint-Siège ; d’autre part l’ambassade
auprès du Quirinal ne saurait, sous peine de heurter la
susceptibilité de la Consultà, entretenir de relations avec le «
monde noir ». Le Quai d’Orsay se trouve ainsi privé d’une source
précieuse d’information. Mais Lacaze est, de par ses fonctions, un
peu à l’écart de l’ambassade. Spirituel, serviable, avant le goût du
monde, célibataire de surcroît, il ne tarde pas à être fêté dans les
milieux les plus divers, ceux du Vatican compris, d’où il rapporte à
Barrère de fort intéressants renseignements. Le tact dont il ne
cesse de faire preuve lui vaut le soin de seconder le délégué naval
français à la deuxième Conférence internationale de la Paix. Déjà
familiarisé avec les arcanes de la diplomatie discrète, il s’initie
là aux pratiques de la diplomatie dite publique, sans d’ailleurs
concevoir pour elle une bien vive admiration.
Négociateur par occasion et tempérament, mais marin avant tout,
c’est sans déplaisir qu’à la fin de 1907 il accueille sa nomination
à l’emploi de chef d’État-major de l’amiral Germinet, commandant en
chef l’escadre de la Méditerranée. Emploi de confiance et de choix.
Germinet est considéré comme le plus puissant cerveau de l’armée
navale et les jeunes officiers ne jurent que par lui. Son programme
ne tend à rien de moins qu’à reforger la marine française. Au début
du XXe siècle celle-ci est encore presque uniquement utilisée soit à
appuyer des entreprises coloniales, soit à montrer notre pavillon
dans les mers lointaines : elle n’est pas un véritable instrument de
combat. Germinet entend qu’elle en devienne un.
Lacaze saisit sur-le-champ toutes les intentions de son nouveau chef
et c’est de concert que les deux hommes élaborent une série
d’instructions destinées à faire de l’escadre de la Méditerranée une
force cohérente et toujours armée pour la bataille. Hélas ! le dur
entraînement auquel est désormais soumise cette escadre amène les
unités qui la composent à demeurer longtemps en haute mer, donc à se
trouver souvent, les jours de paye, loin de la rade de Toulon. D’où
un manque à gagner pour le négoce toulonnais. Or, le président du
Conseil du moment, Georges Clemenceau, est sénateur du Var. Comment
ne prêterait-il pas l’oreille aux doléances de commerçants
politiquement influents ? Il est cassant, Germinet l’est aussi. Des
heurts se produisent et, sous un futile prétexte, l’amiral se voit
relevé de son commandement. La joie éclate dans les rues marchandes
du grand port de guerre et jusque dans son quartier réservé...
Lacaze ne partage que peu de temps la disgrâce de l’amiral. Dès1909
il reçoit un commandement à la mer, puis quand, en 1911, Delcassé
prend le portefeuille de la Marine dans le ministère Monis — un nom
bien oublié — il est appelé à diriger le cabinet militaire du père
de l’Entente cordiale.
Peut-être est-il permis de discuter, sur certains points, la
politique étrangère de Delcassé ; en revanche son œuvre maritime ne
saurait mériter que des éloges. Une part doit en revenir à Lacaze
qui, à peine installé, s’est employé avec succès à pénétrer le «
patron » des idées de Germinet. En deux ans l’administration
centrale, le commandement, les arsenaux sont réorganisés, les forces
éparses regroupées, les manœuvres d’escadre multipliées, un embryon
d’aéronautique navale est créé, une doctrine stratégique est mise au
point, une loi est promulguée qui demeurera longtemps la charte de
notre armée de mer, enfin des accords sont conclus avec l’Amirauté
de Londres déterminant les missions respectives des flottes
française et britannique en cas de guerre menée en commun. Quand, au
début de 1913, Delcassé et, avec lui, le chef de son cabinet
quittent la rue Royale, la Marine nationale est prête à tout
événement.
Il est temps. Les nuages qui, au cours des années précédentes, n’ont
cessé de s’amonceler, vont crever. La première guerre mondiale va
éclater.
Tragique « guerre civile », comme la nommera bientôt Lyautey elle
marque la fin d’une époque, la fin aussi d’une civilisation.
À l’aube du XXe siècle, il existe toujours, en dépit des rivalités
qui séparent les puissances la composant, une sorte de République
européenne. À l’intérieur, nulle entrave à la liberté de circulation
des personnes, à peine à celle des marchandises ; point de
passeports sauf pour la Russie servi-asiatique et pour la Turquie,
point de contingentements, point d’Offices des changes. À
l’extérieur, prestige indiscuté et prépotence presque générale. De
cette République, l’Afrique, l’Océanie entières sont des
dépendances, l’Asie l’est en grande partie. Quant à l’Amérique, si
sa puissance économique va sans cesse augmentant, elle commence à
peine à compter dans le jeu politique international et ses idées,
ses arts, beaucoup même de ses machines lui viennent encore
d’Europe.
L’édifice Europe domine de haut le monde ; des lézardes pourtant y
apparaissent. Sans doute le premier coup lui fut-il porté par
l’Allemagne quand, en 1871, elle arracha brutalement à la France
l’Alsace et la Lorraine. Vint ensuite l’agencement d’un double
système d’alliances militaires divisant les États d’Europe en deux
blocs antagonistes et déterminant une ruineuse course aux armements
à quoi s’ajouta une course aux colonies, une course aussi à la
conquête de marchés extérieurs. N’omettons pas enfin l’effet
perturbateur de la montée des nationalismes, conséquence elle-même
du progrès des démocraties. La solidarité disparaît qui, nonobstant
tous les litiges, avait longtemps subsisté entre les Cours, et la
solidarité des classes ouvrières n’est qu’une chimère : dans un
temps où la rapidité croissante des moyens de communications
raccourcit prodigieusement les distances, les nations tendent à se
replier sur elles-mêmes et à se confire en une hargne jalouse.
Certes les diplomates européens continuent, vers 1900, à n’employer
officiellement qu’une langue : le français. Certes aussi ils
demeurent d’accord pour respecter certains mêmes principes,
certaines mêmes traditions. Mais force est aux gouvernements de
tenir de plus en plus compte des Parlements, de la presse, des
opinions publiques. Or, les foules sont nerveuses et plus sensibles
aux arguments du sentiment qu’à ceux de la raison. N’est-ce pas un
politique d’esprit pénétrant, Anatole de Monzie, qui a écrit : « Les
Français adorent la paix et méprisent les hommes d’État qui
s’efforcent de la leur maintenir » ?
Sur le terrain ainsi préparé, les pires ferments se développent à
partir de 1905. L’Allemagne, que sa poussée démographique et le
développement de son industrie rendent apoplectique, ne connaît plus
de limites à ses ambitions. Persuadée d’être l’objet d’une
conspiration jalouse, elle cherche à la France de mauvaises
querelles et prétend partager l’empire des mers avec l’Angleterre.
Mais ici elle se heurte à l’hostilité active d’une Amirauté bien
résolue à ne pas laisser choir de ses mains le trident de Neptune.
La Russie, humiliée par la défaite que vient de lui infliger le
Japon, — premier succès des Jaunes sur les Blancs — est secouée de
fièvre et quelques-uns de ses dirigeants inclinent à penser qu’un
succès de prestige, dût-il être obtenu au prix d’une guerre, est
nécessaire au régime pour conjurer le spectre de la révolution.
Pensée analogue chez certains hommes d’État austro-hongrois qui
redoutent de voir la Double Monarchie voler en éclats sous la
pression des nationalités. En France même, où la masse est pourtant
si pacifique, d’aucuns en arrivent à se demander si tout ne vaudrait
pas mieux que la prolongation indéfinie d’un exaspérant état de
tension...
C’est à Vienne qu’est allumé le brandon incendiaire. Il est aussitôt
agité à Berlin où le parti de la guerre l’a définitivement emporté.
Courant le long des liens d’alliance, la flamme se propage.
Peut-être pourrait-elle être encore étouffée ? Mais les forces de
résistance aux volontés belliqueuses sont usées et les nerfs partout
prennent le dessus. Et puis, pour reprendre le mot de Luther : « Il
est des heures où Dieu se lasse de la partie et jette les cartes sur
la table. »
Les destins s’accomplissent. Hitler, barbouilleur inconnu mais déjà
hanté de chimères mégalomanes, s’engage, bien qu’Autrichien, dans
l’armée allemande. Lénine passe de Galicie en Suisse d’où il va
préparer la révolution bolchevique. La mission du colonel House
laisse pressentir le rôle qu’assumeront bientôt les États-Unis. Le
Japon entre dans le circuit sanglant... C’est le crépuscule du vieil
ordre, celui aussi de la suprématie européenne.
La guerre trouve le contre-amiral Lacaze placé à la tête d’une des
divisions de notre armée navale. Au terme des accords
franco-britanniques, c’est à celle-ci qu’incombe principalement la
garde de la Méditerranée. Lacaze exécute avec ponctualité les
missions qui lui sont confiées, mais son ardeur ne tarde pas à lui
faire mal supporter les temporisations du commandant en chef, amiral
Boué de Lapeyrère. Il estime aussi, lui qui, dès l’apparition de
l’arme sous-marine, s’est passionné pour elle, que compte n’est pas
suffisamment tenu des dangers présentés par les submersibles
ennemis. Bref, en mars 1915, le commandant en chef ayant sollicité
l’avis de ses principaux subordonnés, Lacaze lui écrit une lettre
conçue en des termes que l’autre juge contraires à la discipline.
Privé de son commandement, votre futur confrère est mis à la
disposition du ministre qui le relègue à la direction de la Marine à
Marseille.
Fonctions en principe sans éclat, car Marseille n’est pas un port
militaire. Mais c’est de là que partent les renforts destinés à la
petite armée d’Orient dont l’embryon vient d’être constitué à
Salonique. Lacaze préside aux opérations d’armement et
d’embarquement avec une maîtrise qui lui vaut l’attention
bienveillante de la rue Royale.
Voire une attention plus haute. Le ministère Viviani, au pouvoir
lors de la déclaration de guerre et plusieurs fois remanié depuis,
apparait définitivement usé. En octobre 1915 son chef abdique et
passe la main à Aristide Briand. Mais en même temps il recommande à
ce dernier quelques noms et, en tout premier lieu, celui de Lacaze.
Briand s’informe, se décide. Et voici le récent disgracié, bien que
simple contre-amiral, chargé du portefeuille de la Marine. Il le
conservera, pendant un an et neuf mois, dans trois cabinets
successifs.
Écrasante responsabilité que celle qui incombe alors au ministre de
la Marine. Les Français, dont les traditions guerrières viennent
plus de la terre que de la mer, ont quelque peu déprisé le rôle joué
par les flottes alliées au cours du premier conflit mondial. Ce rôle
n’en a pas moins été décisif : eût-il été moins bien rempli, l’issue
de la lutte aurait été différente.
C’est avec alacrité que l’amiral Lacaze fait face à sa tâche. Ayant
su s’entourer de collaborateurs du premier mérite — parmi eux le
capitaine de frégate Durand-Viel, aujourd’hui vice-amiral et membre
de l’Institut — il leur communique la flamme qui l’anime. Depuis
ouverture des hostilités notre armée navale était le plus souvent
restée sur la défensive : elle va désormais passer à l’action.
Très vite, une opération d’envergure. Après avoir commencé par
repousser victorieusement l’invasion austro-hongroise, les forces
serbes ont dû céder sous le nombre et battre en retraite. On
espérait qu’elles pourraient, à travers la Macédoine, rejoindre
notre armée de Salonique qui s’avançait à leur secours. Mais,
attaquées sur leur flanc par les Bulgares, elles ont été contraintes
de se jeter dans les montagnes d’Albanie où elles sont menacées
d’encerclement.
Une seule issue : la mer Adriatique. Lacaze décide que, bravant la
flotte autrichienne, des navires français iront recueillir nos
alliés sur les grèves et il obtient de Rome que des bâtiments
italiens coopèrent au sauvetage. Celui-ci s’exécute avec plein
succès. L’armée serbe est transportée à Corfou, elle s’y refait et
bientôt elle pourra, toujours sous la protection du pavillon
français, gagner Salonique pour y grossir cette armée d’Orient qui,
en 1918, sera la première à briser l’adversaire.
Le temps me fait défaut pour rappeler, fût-ce d’un mot, toutes les
heureuses initiatives de l’amiral-ministre. Je ne saurais pourtant
passer sous silence ce qui constitue sans doute le plus haut période
de sa carrière : sa part dans la lutte contre l’offensive
sous-marine à outrance déchaînée par l’Allemagne.
C’est le 31 janvier 1917 que celle-ci, menacée d’étouffement par le
blocus auquel elle est soumise, déclare à la face du monde que
dorénavant ses submersibles torpilleront sans avertissement tous les
navires marchands qu’ils rencontreront, neutres compris. Il s’agit
d’affamer la Grande-Bretagne, de la contraindre à demander grâce et
d’abattre du même coup l’Entente tout entière.
La barbare entreprise paraît quelque temps réussir. En février
540.000 tonneaux sont envoyés au fond, 570.000 en mars, 840.000 en
avril ; mois tragiques pour les Alliés dont les parades sont d’abord
désordonnées. Mais Lacaze, qui a fait de la guerre sous-marine
l’objet de sa particulière étude, contribue largement à l’adoption,
par les Conseils interalliés, de méthodes qui ne tarderont pas à
prouver leur efficace : camouflage, multiplication des patrouilles
de chasse, développement et emploi judicieux de l’aviation navale,
organisation surtout de convois protégés par une forte escorte de
torpilleurs. En juillet, 550.000 tonneaux seulement sont coulés et
le chiffre mensuel des pertes ne cessera plus d’aller décroissant.
L’offensive sous-marine n’aura eu pour durable effet que de
déterminer l’intervention armée des États-Unis et les Empires
centraux seront condamnés. À la victoire alliée l’amiral Lacaze aura
apporté une contribution non médiocre. La France, Messieurs, ne
saurait sans ingratitude l’oublier.
Chef de la Marine française, votre futur confrère était en même
temps membre du gouvernement, membre aussi du Comité de guerre
restreint constitué au sein du Cabinet et, comme tel, il participait
aux plus secrètes délibérations, aux plus graves décisions. Quelles
furent parfois ses hésitations, ses inquiétudes, ses angoisses même,
les confidences reçues par ses intimes en témoignent. Il n’était
cependant point homme à esquiver les responsabilités et c’est sans
réserve qu’il accepta toutes les conséquences de la solidarité
ministérielle.
Je ne puis ici me dispenser de mentionner un épisode de sa vie
publique que d’aucuns lui reprochèrent.
Nous sommes à l’automne de 1916. Joffre, depuis le début de la
guerre, commande en chef les armées françaises. La ruée allemande
sur Verdun a été brisée, mais l’offensive déclenchée par les Alliés
de part et d’autre de la Somme n’a pas donné les résultats que la
plupart des Français en attendaient, non peut-être sans quelque
imprudence. L’année a été atrocement sanglante ; l’année précédente,
encore que moins abondante en péripéties dramatiques, avait été plus
sanglante encore. Et cependant l’ennemi occupe toujours la même
étendue du sol national. Comment l’opinion, l’opinion parlementaire
surtout, si aisément frémissante, ne se laisserait-elle pas aller à
incriminer le Haut Commandement ? Entre le Grand Quartier général et
les Assemblées les relations se tendent, le premier, sûr de lui,
quelquefois hautain, ne faisant rien pour calmer la nervosité des
secondes. Au cours d’un Comité secret tenu au début de décembre par
la Chambre des députés, Briand constate que la majorité réclame et
un changement de méthodes et le départ de Joffre.
Le président du Conseil n’est pas un homme d’acier ; il s’incline et
le Conseil des ministres lui donne son assentiment.
Une difficulté : le vainqueur de la Marne jouit auprès des Alliés
d’un prestige immense. Un éclat est à redouter. Il faut donc agir
avec précaution et par étapes. Briand reforme son cabinet et, pour
lui conférer du lustre, il remplace au ministère de la Guerre le
général Roques, peu connu du public, par le général Lyautey. Mais
Lyautey est résident général au Maroc et, en attendant son arrivée à
Paris, c’est le ministre de la Marine qui est chargé de l’intérim de
la Guerre.
Il va donc incomber à Lacaze, en exécution de la décision du
gouvernement, elle-même provoquée par les représentants du pays, de
négocier la retraite du commandant en chef. Déplaisante mission,
mais à laquelle il ne saurait se dérober. Il la remplit avec doigté.
C’est lui, semble-t-il, qui a le premier l’idée de ressusciter en
faveur de Joffre, à titre compensatoire, la dignité de maréchal de
France.
Peut-on, en justice, lui faire grief de sa discipline ? Aussi bien,
devenue veuve, la maréchale Joffre entretiendra-t-elle avec l’amiral
les plus courtoises relations. De même Foch, englobé, Dieu merci
pour peu de temps, dans la disgrâce de Joffre, n’en conservera pas
durable rigueur à l’amiral.
Tout en étant très respectueux du pouvoir civil, très attaché aux
institutions libres et tout en ayant, à diverses reprises, refusé de
se prêter à des manœuvres dirigées contre ces institutions, Lacaze
n’admet point que les Assemblées puissent, au risque d’ébranler la
discipline, porter atteinte à ses attributions de chef. Aussi,
quand, au début d’août 1917, la Chambre, tendant l’oreille aux
propos, tenus dans certaines chapelles de mécontents, manifeste
l’intention de soumettre la conduite de la guerre maritime aux
investigations d’une Commission d’enquête, il s’y oppose
formellement. Mais il est mal soutenu par le président du Conseil du
moment, Alexandre Ribot, dont la fermeté n’est pas toujours à la
hauteur de la lumineuse intelligence. Sans balancer il donne sa
démission. La perte est lourde pour la Défense nationale.
Promu vice-amiral par son successeur, Lacaze est en même temps placé
à la tête de la préfecture maritime de Toulon. Il y demeure deux ans
et, en 1919, alors que l’incendie allumé en Russie menace d’embraser
l’Europe, c’est grâce à lui que la mutinerie de l’escadre de la mer
Noire ne s’étend pas à notre grand port militaire.
Les équipages de plusieurs des navires qui y sont mouillés ont, sans
permission, débarqué à terre et se sont rassemblés dans les fossés
des fortifications. Foule tumultueuse d’où s’élève le cri : « Les
Soviets partout ! » L’amiral se met en tenue de parade et, refusant
tout accompagnement, se fraye un chemin jusqu’au milieu des
manifestants. Si bref de taille soit-il, il paraît grand tant son
comportement a de majesté calme.
Sans élever la voix, il invoque l’honneur, le devoir, la tradition ;
il donne aussi sa parole de transmettre à Paris, en les appuyant,
toutes les revendications qui lui paraîtront raisonnables. Un
flottement, de rapides conciliabules, puis un assentiment. Les
marins se sont sentis en présence, non seulement d’un chef, mais
d’un homme juste et d’un ami. Tout rentre dans l’ordre et
Clemenceau, devenu le « Père la Victoire », adresse à l’amiral ce si
honorable télégramme : « Je tiens à vous remercier de votre bel acte
d’intervention personnelle. La France a besoin de caractères. Le
gouvernement de la République compte sur vous. »
Hommage plus que mérité : ce jour-là, au péril de sa vie, votre
futur confrère n’avait fait rien de moins que sauver de l’anarchie
la marine française.
Bientôt l’amiral Lacaze est appelé à la vice-présidence du Conseil
supérieur de la Marine et, dans ce haut emploi, il collabore de très
près à l’œuvre de réfection d’une flotte que l’effort continu fourni
pendant la guerre a laissée très endommagée. Encore qu’ayant
largement dépassé la soixantaine, il est toujours jeune d’allure,
toujours bouillonnant d’idées quand, le 22 juin 1922, après
quarante-cinq années de service, il se voit atteint par la limite
d’âge et placé dans la deuxième section du cadre des officiers
généraux.
Vice-amiral, ancien ministre, grand’croix de la Légion d’honneur,
médaillé militaire, entouré du respect général, il pourrait
légitimement amirer au repos. Mais l’otium cum dignitate n’est point
son fait et il se va jeter avec impétuosité dans une série
d’activités nouvelles.
En 1923, le service public le réclame une dernière fois : il est
l’un des délégués de la France à cette Conférence de Lausanne qui,
tout en portant la première grave atteinte aux traités signés à la
suite de la guerre mondiale, va assurer au Proche-Orient une
pacification au moins provisoire. Chacun est d’accord pour louer
l’entregent dont Lacaze fait preuve au cours de longues et
difficiles négociations.
Désormais il ne servira plus directement l’État, mais il continuera,
comme volontaire, à servir la France.
France tourmentée de l’entre-deux-guerres, sortie victorieuse de la
terrible épreuve, mais que sa victoire même, si chèrement achetée, a
laissée affaiblie au moral comme au physique. Quatorze cent mille
Français tués parmi les plus jeunes et les meilleurs, six cent mille
invalides, soixante mille amputés, d’immenses destructions
matérielles, les avoirs à l’étranger partis en fumée, une monnaie à
la dérive, une jeunesse en désarroi, l’ordre ancien ébranlé jusque
dans ses fondements, les plus sûres valeurs remises en question :
comment un esprit lucide ne concevrait-il pas d’inquiétudes pour
l’avenir, comment un cœur généreux ne souhaiterait-il pas de se
donner à tout ce qui peut contribuer à panser les plaies et aider au
redressement ?
Lucidité, générosité : ce sont là chez l’amiral Lacaze qualités
cardinales. Jointes à son impatience de l’oisiveté elles expliquent
suffisamment, sans qu’il soit besoin d’invoquer une vaine gloriole,
l’ardeur avec laquelle on le voit rechercher, assumer et remplir les
tâches les plus différentes, toutes d’intérêt public.
Il est, successivement ou simultanément, président de la Société
centrale de sauvetage des naufragés, de la Société des Œuvres de
mer, de la Société des veuves et mères de marins morts pour la
France, des Amis du Musée de la Marine, secrétaire perpétuel de
l’Académie de Marine, président de l’Institut colonial français, du
Comité France-Afrique du Nord, président d’honneur du Comité central
de la France d’outre-mer, président de la Société des Amis des
Missions catholiques, que sais-je encore ?... Aucune de ces
fonctions n’est prise par lui à la légère et il pousse l’assiduité
comme la méticulosité jusqu’à parfois harasser ses collaborateurs.
Aucune non plus n’est rémunérée : bien que l’amiral Lacaze ne
dispose que de fort modestes ressources, jamais ne vit-on homme plus
désintéressé.
Conterai-je maintenant une impertinente anecdote ? L’ambassade de
France auprès du Saint-Siège, rétablie, se trouvant vacante, il y
fut un instant question d’y appeler Lacaze. « Difficile », dit un
plaisant, « il briguerait la tiare ! »
Simple facétie. Ce ne fut point l’ambition qui jamais poussa Lacaze,
mais un impérieux besoin d’être utile. Et après tout, avec son
intelligence, sa haute conscience, sa foi, sa charité, sa puissance
de travail, son sens politique, si sa vie s’était autrement orientée
et que la Providence eût permis qu’il devînt l’élu du Sacré Collège,
peut-être eût-il fait un pape de qualité.
À défaut, — croyez que je n’entends suggérer aucun rapprochement
entre la coupole de Saint-Pierre de Rome et celle du palais Mazarin,
— l’amiral Lacaze fut un excellent académicien. Parmi ses
innombrables activités, nulle en effet qui lui tint plus au cœur que
celles qu’il exerçait en tant que membre de l’Institut de France.
C’est en 1935 qu’à un premier titre l’amiral se voit décoré de cette
dignité. L’amitié que lui porte le roi d’Espagne Alphonse XIII lui a
permis de concourir, de prépondérante manière, à la fondation de
l’admirable foyer de rayonnement français qui a nom Casa Velázquez.
En témoignage de gratitude, pour reconnaître aussi les services
qu’il a rendus à nombre de jeunes artistes, l’Académie des
Beaux-Arts l’appelle, comme membre libre, dans son sein.
Ainsi, Messieurs, voici Lucien Lacaze déjà votre confrère. Que si,
en effet, de par son ancienneté, l’Académie française jouit, sur les
autres classes de l’Institut, d’une primauté indiscutée, ces classes
n’en sont pas moins juridiquement en entière égalité avec elle. Vous
le savez si bien que lorsqu’un membre d’une des quatre Académies
sœurs traite l’un de vous, selon le cas, de « cher Maître », « cher
Monsieur », ou « cher ami », l’interpellé manque rarement de
répliquer : « cher confrère » ... L’observation de telles nuances,
l’avouerai-je, me paraît grandement contribuer au charme du commerce
académique.
Votre courtoisie ne va d’ailleurs pas jusqu’à vous faire abdiquer
votre privilège majeur : celui d’appeler à vous les hommes qui, à
des titres divers, ont le plus sûrement mérité du pays. Lacaze était
certes de ceux-là. Aussi, un an à peine s’est-il écoulé depuis son
entrée à l’Académie des Beaux-Arts que vous le portez au fauteuil
laissé vacant chez vous par la mort de Jules Cambon. Gabriel
Hanotaux et le maréchal Pétain ont été les promoteurs de sa
candidature. Le 4 novembre 1937 sa réception donne lieu à un échange
d’émouvants discours.
Dans sa modestie, l’amiral s’efface devant la Marine française,
attribue à elle seule l’honneur d’avoir attiré vos suffrages et il
évoque, avec une saisissante sobriété, les services que, pendant la
guerre, elle a rendus à la cause des Alliés. Passant à l’éloge de
son prédécesseur, il trace du grand diplomate que fut Jules Cambon
un portrait que seul un diplomate de race, sinon de métier, pouvait
aussi parfaitement réussir.
En réponse, Gabriel Hanotaux, directeur en exercice de votre
Compagnie, rend à Lucien Lacaze tout ce qui lui est, en bonne
justice ; personnellement dû. Dirai-je qu’après avoir lu cette
réponse, d’une élégante pertinence, j’ai un instant pensé que le
mieux serait que je me bornasse aujourd’hui à en répéter les termes.
Sans doute y eussiez-vous gagné. Vous ne m’en auriez pas moins
condamné si, pour mes débuts dans cette Compagnie, gardienne des
bienséances, non seulement de la langue, mais des mœurs littéraires,
j’avais, fût-ce par humilité, commis un plagiat !
Aussi bien la carrière de votre confrère est-elle, lors de sa
réception, encore fort loin de son terme. Deux fois académicien, il
va s’acquitter de ses nouveaux devoirs avec l’exactitude, voire avec
la fougue qui lui sont habituelles. Assidu aux séances, y
intervenant volontiers, jamais non plus il ne se dérobe aux missions
qui lui sont proposées. La vie intérieure de l’Institut de France
est de sa part l’objet d’autant de soins que sa vie publique ; outre
les fonctions de conservateur du musée Condé à Chantilly, il
assumera, pendant quelque temps, celles, plus ingrates, de
secrétaire de la Commission administrative centrale des cinq
Académies.
Son dévouement, son empressement, la rapidité de ses réparties, vous
ne les avez pas oubliés, ni sans doute son impétuosité. Français des
Iles, l’amiral Lacaze n’avait rien du traditionnel loup de mer,
drapé de silence et cuirassé de flegme. Les idées qu’il croyait
vraies, il les défendait avec une chaude véhémence et il lui
arrivait d’admettre difficilement la contradiction. Reconnaissons-le
: il se laissait quelquefois emporter. Son fin visage, d’ordinaire
pâle, s’empourprait alors, sa barbiche tremblait, les veines de son
front se gonflaient et n’est-ce pas l’un de vous, Messieurs, médecin
fameux, qui lui murmura un jour : « Amiral, attention à vos
vaisseaux. »
Ce n’étaient là que brèves manifestations d’une âme ardente, d’un
esprit impatient de tout retard. Les colères de votre confrère
tombaient aussi vite qu’elles avaient bouillonné. Il les regrettait
et, quand elles avaient pu causer quelque peine, s’en excusait, car,
profondément juste, il était aussi souverainement bon.
Peut-être, tout considéré, la bonté apparaît-elle avoir été le trait
dominant chez l’amiral Lacaze. Bonté s’accompagnant d’exquises
délicatesses.
Ses proches, comme il était naturel, étaient les premiers à en
éprouver les effets. Pour ne s’être pas marié, votre confrère n’en
était pas moins essentiellement un homme de famille et il n’y avait
point de soins, point d’attentions, point de prévenances dont il
n’entourât ses quatre neveux et nièces, ses treize petits-neveux et
petites-nièces. Les enfants l’adoraient et ils ne se trompent guère
quand ils jugent d’instinct le cœur d’un homme.
La bonté de Lucien Lacaze s’étendait infiniment au delà du cercle
familial. Elle était proprement universelle et des inconnus en
recevaient le bienfait. Qu’on fût veuve, orphelin ou mutilé de
guerre, ancien marin, ancien colonial, que simplement on fût dans le
besoin, voilà qui suffisait à créer des droits sur la bourse de
l’amiral et sur son temps. Littéralement, il donnait tout.
Votre confrère vit le soir de son existence tragiquement assombri
par les malheurs de la patrie. Pendant les années endeuillées de
l’occupation il ne se départit pas d’une hautaine réserve et
repoussa toutes les sollicitations dont il fut l’objet de la part de
ceux qui se résignaient à l’abaissement. La défaite allemande, à
laquelle il n’avait jamais cessé de croire, l’inonda de joie. Mais
cela ne l’empêcha pas de condamner les excès auxquels la Libération
servit de manteau. Avant la guerre il avait été fort lié avec Pétain
; aux jours où celui-ci dirigeait le gouvernement de Vichy, il s’en
était tenu à longue distance ; le vainqueur de Verdun condamné et
captif, il n’hésita pas à adhérer au comité formé pour obtenir la
révision de son procès. Qu’un tel geste pût lui mériter la défaveur
des puissants du jour, Lucien Lacaze, Messieurs, avait l’âme trop
haute pour s’en soucier un seul instant.
1950. L’amiral s’achemine maintenant vers sa quatre-vingt-dixième
année. Voici qu’il l’atteint, qu’il la dépasse sans que se démentent
sa verdeur, son insatiable appétit de travail, sans que non plus sa
mémoire faiblisse. « Trompe-la-mort », l’avaient jadis surnommé ses
camarades du Borda. La trompera-t-il indéfiniment ?... Cela n’est
donné à personne. À la fin de 1954, les forces de votre confrère
déclinent et il se voit contraint au repos. Mais une telle
contrainte est fatale à un tempérament comme le sien : au terme
d’une brève maladie, il meurt chrétiennement, le 23 mars 1955, âgé
de quatre-vingt-quatorze ans et neuf mois.
Quelques jours avant qu’il ne rendît le dernier soupir et alors
qu’il ne quittait plus son lit, il entendit du bruit dans
l’antichambre voisine et en demanda la cause. C’était un homme, se
disant ancien marin, qui était venu quêter un secours et qu’on
éconduisait. Une enveloppe posée sur la cheminée contenait quelques
billets. L’amiral la désigna d’un doigt encore impérieux et exigea
qu’on la remît au solliciteur. C’était son dernier argent liquide...
Constant jusqu’au bout dans sa charité, il était resté fidèle aussi
à la devise qu’il avait empruntée à l’amiral Touchard : « On n’a
jamais fini de faire son devoir. »
Chevalier Grand-croix de dévotion de l’Ordre de
Saint-Lazare
Chevalier de la
Légion d'honneur, le 11 juillet 1892
Officier de la Légion
d'honneur, le 30 décembre 1901
Commandeur de la
Légion d'honneur, le 21 janvier 1913
Grand officier de la
Légion d'honneur, le 1er juillet 1919
Extrait Cols Bleus / 26 mars 1955
Extrait Cols Bleus / 2 avril 1955
Dossier Légion d'honneur /
Lien web
Le Figaro / Anecdote
Le 17 octobre 1916, Le
Figaro nous raconte l'émouvante histoire d'amitié de deux officiers
de la marine qui résiste aux épreuves du temps, et de la Grande
Guerre.
«Le contre-amiral
Mercier de Lostende, nommé d'hier mardi 17 octobre 1916, est de la
même promotion d'École navale que le ministre de la marine, l'amiral
Lacaze. L'un et l'autre sont nés en 1860 et sont entrés à l'Ecole
navale en 1877.
Comme une loi récente,
dite de rajeunissement des cadres, a voulu que les capitaines de
vaisseau fussent mis à la retraite à cinquante-six ans, il s'en
fallait de quelques mois que le capitaine de vaisseau de Lostende ne
fût atteint par la limite d'âge. En lui conférant les deux étoiles;
l'amiral Lacaze l'a donc, comme on dit, “sauvé” des loisirs forcés
d'une retraite prématurée.
Ce n'est pas la
première fois qu'il le sauve. Un jour, en effet, au cours d'une
manœuvre sur le Borda, le jeune Mercier de Lostende tombe à la mer.
Un de ses camarades n'hésita pas à se jeter à l'eau pour le sauver.
Et il y réussit. Ce camarade se nommait Lacaze, c'était l'actuel
ministre.» écrit Le Figaro du 18 octobre 1916.
Fiche autre officier :
http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers_mercier_maurice.htm
Extrait Cols Bleus - Avril 1917
Complément :
Discours réception :
http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-et-reponse-de-gabriel-hanotaux-1
Autre :
http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-reception-de-lucien-lacaze
Funérailles :
http://www.academie-francaise.fr/funerailles-de-lamiral-lucien-lacaze-en-leglise-saint-louis-des-invalides
Remerciements Bernard
Dulou
Remerciements Olivier Chebrou de Lespinats
Remerciements Pascal
Boisson
Remerciements Photo /
Christian de Marguerye
Remerciements Xavier
Perelmuter
Remerciements Olivier
Lucas
Remerciements Stéphane
Giran
Remerciements à Gilles Jogerst / Généamar pour ses recherches
et la mise à disposition de ses données
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviation-marine/marine-1914-1918/liste_sujet-1.htm
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et anciens élèves
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