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- Officiers et anciens élèves -

 

 

Alphonse Alexis GUIERRE

(1847 - 1904)

 

 

Né le 11 juin 1847 à LUXEUIL-les-BAINS (Haute-Saône) - Décédé le 15 février 1904 à SAINT-NAZAIRE (Loire-Atlantique).

Père de Georges Léon Jacques, Gabriel Abel, Maurice Casimir Lucien, Félix Marius et René Jean Albert, ainsi que de Marguerite Mathilde.

 

 

Remerciements photo / Isabelle Peinaud

 

Entre dans la Marine en 1864.

Aspirant le 2 octobre 1867, port CHERBOURG.

Enseigne de vaisseau le 2 octobre 1869.

Chevalier de la Légion d'Honneur le 6 juin 1871.

 

 

Officier en second sur le bâtiment "ESPADON"

 

Extrait Le Temps / 28 juin 1874

 

Lieutenant de vaisseau le 17 août 1878.

 

 

 

Au 1er janvier 1881, sur le croiseur "LA-CLOCHETERIE", Station navale de la Mer des INDES (Cdt Aristide VALLON).

Lieutenant de vaisseau en résidence fixe.

Au 1er janvier 1886, attaché au service du port, de la rade, des défenses sous-marines à TOULON. Idem au 1er janvier 1897.

 

 

Versé dans le cadre de réserve le 12 mai 1899.

Officier de la Légion d'Honneur le 26 juin 1899.

 

 

Occupe ensuite les fonctions de Pilote Major à SAINT-NAZAIRE; fonctions qu'il occupe à son jour de décès.

 

 

Trésorier des invalides de 2ème classe, Trésorerie de Morlaix

 

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Ecrivain :

L'avenir de la torpille et la guerre future
 

Dossier Légion d'Honneur / Lien web

 

Complément :

Alphonse Guierre était un intime de Pierre Loti, surnommé "Droit Devant". Etait considéré comme son "ami terrible"

 

 

Portait le nom de "Rayer", dans un des ouvrages de Pierre Loti

 

     

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Retranscription

 

Ce "DROIT DEVANT", L'"AMI ce TERRIBLE" DE LOTI

Qui était ce Rayer ? Ce nom n'est, à notre connaissance, cité qu'une fois dans l'œuvre de Loti, plus précisément dans Un Jeune Officier pauvre, où l'on peut lire, à propos du stage du marin-écrivain à l'Ecole de Joinville : « Là, au premier, porte à gauche, on trouve Rayer, un enseigne de vaisseau, mon grand ami (ce terrible qui a tué un homme en duel au sabre). Nous faisons domestique commun et porte-monnaie aussi ».

Rayer ? En fait, l'une des figures les plus attachantes de la vieille marine. On l'appelait « Droit devant ! », tant pour son cran que pour son allure. « Droit devant ! », parce qu'il était grand, sec, toujours tendu vers le but, précédé d'un nez en éperon et d'une barbiche en pointe, pas plus hésitant dans sa parole que dans son geste, l'un et l'autre expressions immédiates, sincères, totales de sa pensée. Il tranchait par « oui » ou par « non » comme il tirait à l’'épée. « Droit devant, mon fils ! et après, tant pis ! », telle était sa devise.

D'ascendance terrienne, originaire de l'Est — où l'appel de la mer se fait si souvent entendre — il avait préparé le concours de Navale à Paris, dans ce collège Barbet, impasse des Feuillantines, dont les maîtres professaient des opinions politiques avancées, certains allant jusqu'à porter l'habit saint-simonien.

Il entra à l'Ecole navale, trois ans avant Loti, avec les opinions d'un radical sous l'Empire ; ce qui n'empêcha pas ses camarades d'aimer en lui le gai, l'intrépide compagnon, mais n'allait pas tarder à « braquer » certains de ses chefs.

Il terminait un tour du monde quand, en juillet 1870, il fut, sur sa demande, incorporé au 5^ bataillon de marins à Brest et prit part aux combats de l'armée de la Loire.

En avril 1871, participant avec ses marins au second siège de Paris, il sortit des tranchées sous le feu des communards, franchit fossés et remparts, préparant ainsi l'entrée du Capitaine de frégate Trêves par la Porte d'Auteuil. Il reçut la Légion d'Honneur, pour faits de guerre, à 23 ans. Avant la fin de l'occupation, se trouvant à Belfort, il insulta un détachement allemand, cracha sur son drapeau ; ses amis l'entraînèrent jusqu'à la gare où il sauta dans un train en marche, après avoir jeté à la tête d'un employé la monnaie allemande que celui-ci entendait lui faire accepter. Il fut condamné par l'occupant à dix ans de forteresse — par contumace — car déjà il faisait route pour le Sénégal.

C'est à Dakar, en 1873-1874, que Rayer se lia d'amitié avec Loti. Ils y vécurent ensemble dans une case que Loti décrit ainsi dans Le Château de la Belle-au-hois dormant : « Oh ! le Dakar d'autrefois, où nous possédions en commun une case, une case de bois bâtie, disais-tu, avec des débris de caisses de vermouth et hantée par les fourmis blanches, les serpents et les lézards ».

C'est pendant cette période qu'au hasard des escales se rencontrèrent à Dakar : Rayer, Viaud, Duboc, Réveillère, Savorgnan de Brazza (aspirant sur la « Vénus ») et le médecin de marine Crevaux, le futur explorateur.

La France était riche de tempéraments exceptionnels. C'est à Dakar aussi qu'eut lieu le duel auquel Loti fait allusion et qui se termina par la mort du lieutenant d'infanterie coloniale B..., adversaire de Rayer. Nous avons sous les yeux la dépêche ministérielle, signée par l'amiral Montaignac, le protecteur de Brazza, infligeant un blâme à l'enseigne de vaisseau Rayer. « Tout en reconnaissant qu'une fois le duel devenu inévitable cet officier s'est comporté avec loyauté vis-à-vis de son adversaire ; qu'il a manifesté le regret de voir choisir une arme qui, dans sa pensée, devait donner une issue funeste à la rencontre ; qu'enfin, il a cessé le combat malgré l'insistance de M. B... et avant d'avoir pu comprendre la gravité de la blessure qu'il venait de faire à cet officier ; il me paraît incontestable que c'est à la légèreté et au peu de convenance de la conduite de M... [Rayer] au début de cette affaire, qu'il faut en attribuer les conséquences déplorables. En retirant ou en expliquant des paroles insultantes que rien dans l'attitude de M. le lieutenant B... n'avait provoquées. M... [Rayer] pouvait, sans manquer aux lois Préface pour un livre qui n'a jamais paru, du véritable honneur, éviter ce duel dont le dénouement a été si fatal. » Les paroles insultantes avaient été, en fait, prononcées au cours de l'altercation que voici : — « Quelle belle bête ! » s'était écrié Rayer en voyant le lieutenant arriver à cheval. — « Pour qui faut-Q le prendre, Monsieur ? » — « Pour qui vous voudrez ». A cette époque, pareil sous-entendu suffisait à vous conduire sur le terrain. L'officier avait choisi le sabre de cavalerie. Peu familiarisé avec cette arme, le marin s'était d'abord blessé lui-même au talon, mais avait voulu continuer le duel. Ce qu'il avait fait en épéiste ; s'étant découvert, le lieutenant avait eu la poitrine perforée. Conséquence hors de mesure avec les paroles prononcées ; mais, nous apprend Rayer dans une annotation : « Je ne pouvais pas crier urbi et orbi que je me battais pour le compte d'un médecin boiteux et chargé de famille, souffre-douleur du lieutenant B... »

Le bon droit était à coup sûr de son côté puisqu'il garda l'amitié de Loti. Nous avons en outre dans nos dossiers une lettre signée de tous les sous-officiers de « l'Espadon » exprimant à l'enseigne de vaisseau Rayer leur chagrin de le voir débarquer et renvoyer en France.

La lettre est du 18 mai 1874. Julien Viaud, ayant embarqué sur ce même aviso le 25 mai, n'avait rien pu ignorer de ce duel qui fit quelque bruit dans la Marine. En septembre de la même année, Julien Viaud rentre en France avec son bateau ; aux derniers jours d'octobre, il fait un court voyage privé en Savoie, puis séjourne à Paris. Il retrouve là son ami Rayer, un peu désorienté par sa tragique aventure. Lui-même porte au cœur une blessure mal fermée, l'amour que lui inspira certaine jeune femme connue à Saint-Louis et qu'il vient de revoir à Genève. Rayer et Viaud décident de demander leur admission à l'école de gymnastique de Joinville-le-Pont (stage de janvier à juillet 1875). « Période joyeuse et drôle », écrira Loti dans Un Jeune Officier pauvre, « durant laquelle nous étions du matin au soir en équilibre ou en garde, ou bien encore, tantôt par les pieds, tantôt par les mains, suspendus à quelque chose ».

Après les examens de sortie, Us s'en furent ensemble faire leurs adieux au capitaine instructeur qui leur offrit un pernod d'honneur et leur serra la main, en disant à chacun : « A la Gloire, mon brave ! » Puis Loti rejoignit l'escadre et embarqua sur" La Couronne qui devait le mener en Turquie où il allait rencontrer l'amour et la gloire littéraire en la personne d'Aziyadé. Rayer, moins bien partagé, cingla vers Terre-Neuve. Revenu en France avec une santé assez ébranlée. Rayer demanda de suivre les cours de l'école des torpilles à Boyardville.

Sa formation technique, sa culture scientifique, allaient faire de lui l'un des premiers électriciens et l'un des officiers torpilleurs les plus avertis de la Marine. Mais, sitôt promu lieutenant de vaisseau, il repart au loin, vers la Mer Rouge. A Aden il apprend le massacre en Abyssinie de son ami Lucereau, explorateur ; il l'attribue à l'Intelligence Service et, à la première occasion, jette un paquet de cartes de visite à la figure d'officiers anglais, leur reprochant d'appartenir à une nation d'assassins et leur proposant un duel au sabre. Son commandant le jugeant dangereux pour la politique de la France — on le comprend — , le renvoie à Toulon où il est mis aux arrêts de rigueur.

Dans sa chambre, strictement gardée par un factionnaire. Rayer grelotte de fièvre et pourtant son seul désir est de repartir en campagne. C'était l'époque où, après les explorations de Bonaparte Wyse, le percement de l'isthme de Panama était étudié par F. de Lesseps. Déjà Duboc s'est fait mettre hors cadres pour y participer. Armand Reclus, officier de marine, frère d'Elisée et de Michel-Elie Reclus, dirige les premiers travaux. Rayer se fait appuyer par un de ses anciens chefs qui annote ainsi sa demande : « Compagnon de l'armée de la Loire, travailleur, instruit, plein de verve et de gaîté ; qualités de cœur exceptionnelles ; enfin, homme sûr pour toute mission difficile. » Grâce à quoi. Rayer rejoint son ami fraternel Duboc dans la brousse panaméenne ; la machette en main, son théodolite sans cesse en œuvre, il établit en deux ans le premier tracé du canal projeté. Si sa santé chancelle, sa fougue reste intacte. Lorsqu'il se décide à rentrer en France, il prend la parole à l'issue d'un banquet de sa société et, levant sa coupe, exprime le souhait d'obtenir un commandement qui lui permettrait de conduire au bagne les dirigeants de l'entreprise... A la suite de quoi, il reçut de son camarade le lieutenant de vaisseau Henri Danel, gouverneur de la Guyane, membre de l'opposition au congrès de 1879 pour le canal de Panama, un mot félicitant le « vieux brave » (30 ans !) pour la façon énergique et honnête dont il avait qualifié en s'en séparant cette folle entreprise.

Rayer rentre en France. Va-t-il enfin se fixer ? Non ! Nous sommes en 1883. Rayer retrouve son ami Savorgnan de Brazza que Paris vient d'accueillir en triomphateur, il envisage de repartir avec lui ; mais il apprend alors la disparition de son ami le Docteur Crevaux, au cours de son exploration du rio Pilcomayo. « Mort, Crevaux ? rien ne le prouve ; il faut partir à sa recherche ! S'il était Anglais, dix expéditions l'auraient déjà fait ! » Pourquoi Rayer ne le ferait-il pas, lui, familier de la brousse et, depuis peu, membre de la Société de Géographie de Paris ? Mais, où trouver les fonds ? M. de Lesseps, président, ne pourrait-il les obtenir ? Un peu naïvement. Rayer lui écrit : « Je ne veux pas lâcher la partie. Je préférerais gagner mon passage à Buenos-Aires sur un voilier en donnant la main à la manœuvre. Il me suffirait d'un mot de vous et, jusqu'à nouvel ordre, nous irions à la recherche de Crevaux à nous deux, vous, Monsieur de Lesseps et moi. » Mais le président de la Société de Géographie qui n'a pas oublié le toast de Panama se montre assez réticent. Peut-être la Marine sera-t-elle plus compréhensive ? Mais le chef d 'Etat-Major général pose au bouillant officier cette alternative : ou rentrer dans le rang ou démissionner. Découragé, Rayer est sur le point de permuter avec un camarade désigné pour le Sénégal où sévit la fièvre jaune ; l'amiral Galliber l'en détourne.

Alors seulement, il se résout à se fixer. C'est que depuis sept ans (il en a 37), au cours de ses pérégrinations, un amour l'accompagne qui va triompher. Il va enfin se marier. Ses camarades ne le veulent point croire : « Impossible ! Quelle peut être la naïve jeune fille qui entend enchaîner ce fils de l'Aventure ? » Et pourtant, l'impossible va se réaliser. Rayer a demandé à Pierre Loti d'être son garçon d'honneur, mais l'écrivain lui a répondu : « Tu as dû recevoir hier ma dépêche te disant qu'il m'est impossible de venir. J'ai peur que tu n'en sois pas bien convaincu, ce qui me ferait beaucoup de peine. Une permission m'a été refusée de la manière la plus formelle. Tu dois bien connaître de longue date l'entêtement des vieilles brutes maritimes. Et je n'ose pas tirer bordée parce que, le mois prochain, j'aurai besoin de la bonne volonté des mêmes vieux bonzes pour m'absenter souvent en vue de m£ marier moi-même ». Je trouve, mon cher Rayer, que tu as pris le seul parti sage et je suis heureux de te voir faire cette douce fin-là. A moins d'impossible, je vais manœuvrer moi aussi pour te suivre bientôt. Je t'envoie tous mes souhaits de bonheur, ne pouvant faire mieux ; je t'assure encore de ma vieille amitié et je t'embrasse. Julien ViAUD.

Certains seront choqués peut-être par les sévères épithètes dont usait Pierre Loti à l'égard de ses chefs. Nous voilà loin du langage académique. Pourtant, nous aurions eu scrupule à ne pas publier une telle lettre dans son intégralité. Julien Viaud adorait la marine et les marins mais, tout comme son « terrible » ami, il jugeait sévèrement une certaine oligarchie que nous allons voir sous peu rendre à tous deux la monnaie de leur pièce. Donc, « Droit devant » s'est marié ; sa fiancée a relevé le défi de l'opinion maritime. Mais la Terre va prendre sa revanche sur la Mer. Quelques mois après le mariage, l'un de ses chefs envisage d'envoyer le lieutenant de vaisseau Rayer au Gabon.

Mme Rayer, pourtant si douce, parle simplement de l'aller cravacher. C'est que, déjà, elle sent battre en elle le cœur de son premier enfant. Bientôt le fougueux, le terrible « Droit devant » va se montrer plus père que marin. Rayer aura sept enfants. Dès la naissance du second, il a demandé de passer en résidence fixe. Mais ce « pantouflard » va organiser toute la défense de la rade de Toulon par torpilles fixes. Il occupe ses rares loisirs à traduire de l'allemand de savants ouvrages sur l'électricité et à faire des mathématiques, sa passion.

Pour faire face à des charges familiales devenues écrasantes, il prépare à l'Ecole navale des fils de camarades (dont Jean Conneau, le futur aviateur), ce qui déplaît à ses chefs

En fait. Loti ne s'est marié qu'en novembre 1886, d'autant que sa liberté de langage n'a pas diminué avec l'âge. L'ancien élève de professeurs saint-simoniens ne va ni aux réceptions de la Préfecture maritime, ni à l'église (bien que ses enfants soient élevés dans la religion) ; c'est un radical. Le temps est venu où il devrait être promu capitaine de frégate.

Mais... Le jour même du baptême de son sixième enfant, à la fin du déjeuner, alors que le commandant Jousselin (Plum- kett) va porter un toast, Rayer est convoqué par son chef direct qui lui signifie sa mise à la retraite d'office, avec le grade de lieutenant de vaisseau (20 octobre 1896).

Premier « coup de sabre » de l'amiral Besnard, ministre de la marine. Un cyclone balaie Rayer et sa famille. Des lettres indignées affluent. C'est Loti, qui écrit : « Pardonne-moi, pauvre ami, de n avoir pu répondre dans le premier moment de révolte et petidant que j'étais à Paris, remuant ciel et terre pour essayer d'empêcher l'iniquité et l'ineptie de ces vieillards. Ma vie est bouleversée d'une façon infiniment douloureuse ; ma mère était ce que j'aimais le plus au monde et son départ me laisse une détresse infinie. . . ». Sans doute Loti prévoyait-il qu'il serait lui-même victime de ces mêmes vieillards. A son tour, il fut mis à la retraite d'office le 15 avril 1898.

Peu après, il écrivait à Emile Duboc : « Ah ! combien il se serait indigné, lui, l'amiral [Courbet] , s'il avait pu prévoir que certains de nos chefs du ministère, dans l'excès de leur traditionnel favoritisme pour les fils et les gendres, amèneraient à force d'injustices, un officier tel que vous [Duboc'] à quitter la marine. Et Duboc, le héros désillusionné de Shaï-Pao, répond : « Je suis bien peiné, je t'assure, de la mesure inique et ignoble dont tu es victime, comme quelques-uns de nos camarades dont Sentis qui avait été blessé grièvement au combat du Pont-de-Papier et à qui on a donné la même récompense qu'à toi, dans les mêmes circonstances ; ce sont des infamies. »

Rayer ne put se pourvoir en Conseil d'Etat, parce que lui manquaient les 500 francs (or) nécessaires ; il adressa au Président de la République une note qui demeura sans effet. Mais sa riposte ne se fit pas attendre. Ce fut d'abord une série d'articles dans l'Echo de Paris (journal avancé, à l'époque) contre les abus de la Marine ; articles dans lesquels Rayer se révélait un virulent polémiste à la manière d'Henri Rochefort.

Ce fut ensuite un livre savant et quasiment prophétique : L'Avenir de la torpille et la guerre future, dans lequel on peut lire : « La guerre déclarée, nos escadres seront immobilisées ; une nuée de torpilleurs, de canonnières lançant des projectiles à haut explosif et quelques sous-marins pourront Lettre inédite de P. Loti, Archives de M. Guierre, Préface de P. Loti à « 35 Mois de Campagne en Chine et au Tonkin » par Emile Duboc, seuls empêcher l'ennemi de ravager impunément nos ports ». Et encore ceci : « Les héros d'autrefois s'escrimaient à grands coups d'estoc et de taille et buvaient parfois à la même coupe après des heures de combat acharné. Demain, les preux du passé seront remplacés par des potards. Qu'avez-vous à reprocher au ballon employé comme engin destructeur ? N'est-il pas, avec la Withehead qui coulera au besoin un paquebot, avec l'emploi des gaz délétères qui asphyxieront un bataillon comme on asphyxie les chiens en fourrière, le triomphe de la guerre scientifique ? » (écrit en 1898). De tout cela, la rue Royale prit d'abord ombrage; mais de nouveaux chefs — dont le commandant Darrieus, grand ami de Rayer — furent appelés aux leviers de commande.

Et Rayer obtint une première réparation avec la rosette de la Légion d'Honneur (30 ans après avoir reçu la croix pour faits de guerre !) Méditez cela, candidats trop pressés, et ceci encore : Duboc, bien qu'ayant reçu la croix et la rosette, à six mois d'intervalle et à 28 ans, des mains de l'amiral Courbet, et pour quels exploits ! mourut à plus de 80 ans, sans avoir été promu commandeur.

Puis Rayer fut nommé trésorier des Invalides et bientôt pilote-major — réparation, sans doute, mais aussi habile moyen de paralyser sa plume de polémiste — n'avait-il pas sept enfants à élever ? Car un septième était né, une fille, dont Pierre Loti sera le parrain, ce qui valut au curé de recevoir à la sacristie l'illustre écrivain et de faire signer à ce protestant le livre d'or de l'église. Mme Rayer, elle aussi, était émue à l'idée de recevoir l'académicien à sa table ; on sortit de vieilles bouteilles, le menu comporta une énorme sole, ramenée des grands fonds par les pilotes du commandant, mais Pierre Loti déclara vouloir se contenter d'un œuf à la coque et d'un verre de lait. Rayer écrivit des Souvenirs pour lesquels il demanda une préface à Pierre Loti. Celui-ci accepta volontiers mais, pour ce qui était de trouver un éditeur, se récusa, alléguant que ceux-ci étaient plus préoccupés de commerce que de littérature. Ne lui avaient-ils pas déjà refusé plus d'un manuscrit excellent qu'il eût été fier d'avoir écrit ?

Le livre de Rayer demeura donc inédit, mais point la préface que Loti publia après la mort de son ami. Une longue maladie devait avoir raison du tempérament « tout acier » de Rayer dont les dernières lignes qu'il écrivit furent celles-ci : « J'en ai fini avec les aventures... Ma fin de carrière eût pu être plus brillante, mais je ne regrette rien, ni les honneurs, ni la fortune. J'ai toujours marché droit devant moi, la tête haute. Je m'en irai la conscience tranquille. » Il s'en alla peu après, porté en terre par ses vieux pilotes. Sept enfants accompagnaient son cercueil, sept dont cinq fils. Bien qu'il n'eût rien fait pour les y pousser, quatre d'entre eux entrèrent dans la marine — et si le cinquième ne les y suivit pas, c'est qu'il préféra s'engager comme fantassin en 1915. Les cinq — dont un, mort pour la France — reçurent tous la Légion d'Honneur, trois furent commandeurs. Par eux s'est perpétué l'idéal de « Droit devant », cet homme qui, bien qu'on l'eût dit « terrible », laissa parmi les anciens de notre marine un souvenir fait d'amicale et respectueuse admiration.

Alors qu'il était simple lieutenant de vaisseau, le vice-amiral Merveilleux du Vignaux avait osé demander au ministre Pelletan le rétablissement des aumôniers de la marine. Et, beaucoup plus tard, quand il voulut prendre pour aide de camp un des fils de Rayer, il s'entendit objecter : « Avez-vous donc oublié quel vieux radical était son père ? » — « Rayer ? un grand honnête homme », rétorqua l'amiral. Lorsque l'amiral Lacaze, qui avait été aide de camp de l'amiral Besnard, nous parlait de Rayer, il ne manquait pas d'ajouter : « Quel homme extraordinaire il fut ! » Tant il est vrai qu'à la longue, la droiture est tou- jours admirée ; plus particulièrement dans notre marine où toutes les divergences idéologiques s'effacent devant la loyauté et le courage. C'est pourquoi je n'ai pas hésité à évoquer un passé que j'ai vécu et un drame familial qui assombrit mon enfance ; car celui qu'on avait surnommé « Droit devant » et que Loti appelait « le terrible Rayer », cet homme « plein de verve et de gaîté, aux qualités de cœur exceptionnelles, cet homme sûr pour toute mission difficile » ne fut autre que mon père.

Maurice Guierre.

Capitaine de vaisseau honoraire Ex-Vice-président de la Société des Gens de Lettres.
 

 

 

 

Amiral Darrieus - parrain de Gabriel Guierre

 

Remerciements Documents et photos à Alain Guierre

Remerciements à Gilles Jogerst / Généamar pour ses recherches et la mise à disposition de ses données

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