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HISTORIQUE -
Journée
du 19 novembre 1922
Extrait La Dépêche de Brest et de l’Ouest

LA MARINE A L’HONNEUR
Le « Triomphe » de Navale fut, en
réalité, le triomphe de toute la Marine

La remise de décorations aux écoles
Le défilé historique
A
l'heure prévue, car tout était méticuleusement prévu dans cette fête
du triomphe de l'École navale, le train ministériel entrait en gare.
Sur le quai, se tenaient les autorités civiles et
militaires. M Raiberti, ministre de la Marine, est reçu, ainsi que
sa suite, sans cérémonial. M. Nardon, maire, qui est également venu
saluer le représentant du gouvernement, lui adresse immédiatement
trois demandes :
1° Le congé de cet
après-midi du samedi pour le personnel de l'arsenal ;
2° Que ne soit pas réduite
l'indemnité de cherté de vie accordée au même personnel ;
3° Lui faisant part du vœu
émis la veille par le conseil municipal : la libération de Marty.
En ce qui concerne la première demande, le ministre se déclare tout
disposé à accorder satisfaction, pour la seconde, il s'efforcera
d'obtenir le maintien du statu quo, quant à la troisième, comme elle
est du ressort du gouvernement, il ne peut rien dire.
Puis M. Raiberti gagne la préfecture maritime ou il attendra l'heure
de la revue qui doit se dérouler sur le cours d'Ajot.
Cette revue semble déjà assurée d'un très vif succès. Dès les
premières heures de la matinée, en effet, bon nombre de nos
concitoyens se dirigent vers le cours dans l'espoir de s'assurer une
bonne place. Plusieurs magasins ont, pour la circonstance, tenu à
pavoiser.
Un service d'ordre spécial et parfaitement organisé par M Pietrera,
commissaire central, assure le bon fonctionnement de la circulation
qui s'intensifie de plus en plus, d'autant que les troupes de la
garnison convergent à présent vers les emplacements qui leurs sont
assignés. A gauche de la tribune officielle, viennent se ranger tour
à tour, drapeaux en tête, les sociétés patriotiques : Mutilés de la
guerre, Union nationale des anciens combattants, veuves de guerre et
pupilles de la nation ; Ligue maritime française, Union mutualiste
du Finistère, Association des familles nombreuses, etc. Les dames de
la Croix-Rouge ont également tenu à se grouper pour assister à la
cérémonie. A présent, toutes les rues avoisinant le cours d’Ajot,
toutes les fenêtres des maisons voisines sont occupées par une foule
particulièrement dense.
Les pavillons de la ligue maritime.
Du haut du cours, précédés de deux larges drapeaux, descendent les
membres de la Ligue maritime française, accompagnés d'une
délégation. Cette délégation, composée d'élèves du lycée de garçons
de Brest, d'élèves du collège de Morlaix, du collège de Bon-Secours
et d'élèves du lycée de jeunes filles, est conduite par les
présidents des différentes sections scolaires :
M. Gaucher, M. Lelan, M. l'abbé Abgrall et Mlle Perrin. En tête de
la délégation marchent M. Cloarec vice-président de la Ligue
maritime et coloniale et le commandant Cussec, président de la
section du Finistère. La délégation est reçue par M. le contre
amiral Estienne, major général. Le pavillon de soie offert à l'école
navale et le grand pavillon d'étamine offert à l'école des
apprentis-marins par la L.M.C sont portés, le premier par un élève
du lycée, le second par un élève du collège de N.D. de Bonsecours.
Deux jeunes filles du lycée les accompagnent et portent des palmes
de bronze.
Discours de M Cloarec.
M. Cloarec, en présentant les deux pavillons, prononce un discours
dont nous détachons les passages suivants :
« La Ligue maritime et coloniale française ressent vivement
l'honneur qui lui est fait aujourd'hui, c'est avec une profonde
émotion que je suis son interprète près de la jeunesse des écoles ou
se forme la marine de demain. Association nationale pour tous les
Français, notre Ligue unit dans un même amour les élèves à toutes
ces écoles, aussi a-t-elle tenu à apporter à chacune d'elles un
témoignage de sa sympathie. A Navale, à qui est ici unie la
pépinière de nos commissaires, nous remettons un drapeau pour sa
salle d'honneur.
Aux mousses, nous Confions un Pavillon qui pourra flotter en tête
de mât de leur navire. En souvenir de leurs aînés qui dorment côte à
côte leur dernier sommeil dans la boue des Flandres ou dans la
Grande bleue, nous déposons devant eux des palmes égales symbolisant
leur égalité dans le dévouement et dans la mort. Quant aux
mécaniciens de Lorient, nous avons jugé préférable d'aller porter
nous-mêmes à leur école notre hommage. La date de cette cérémonie
sera fixée ultérieurement mais je tiens à assurer aujourd'hui nos
jeunes amis que nous ne les avons pas oubliés, ce retard n'a pour
but que de donner plus d'éclat à la remise que nous leur ferons et
d'y associer la population lorientaise au milieu de laquelle ils
vivent. Lorsque, sur les mers lointaines, dans les ports étrangers,
vous vous tournerez tous vers l'arrière pour saluer notre pavillon
s'élevant dans l'azur du ciel aux accents de la Marseillaise,
votre pensée ira vers celles que vous avez laissées au village
natal, vers tous vos frères, vers ces laboureurs qui font la terre
si belle et si fertile, vers ces ouvriers qui soutiennent le renom
du travail français, vers les Pêcheurs de nos côtes ou du large;
vers les artistes, les savants qui vous ont délégués à leur garde
afin que, dans la paix féconde, ils puissent préparer à vos
enfants une vie plus belle et plus heureuse; vous comprendrez que
c'est l'ensemble des efforts de tous qui donne la figure totale de
la France, comme l'ensemble des trois couleurs est nécessaire pour
former le pavillon. Alors, vous vous rappellerez vos anciens, qui
ont fait comme vous, tous ceux qui sont morts pour que la France
vive, ceux qui ont vécu pour qu'elle apparaisse à tous les peuples
comme la nation la plus passionnée de justice qui soit au monde, la
plus éprise de fraternité, et vous jurerez d'être vous aussi justes,
bons, généreux, vous voudrez être sans peur et sans reproches afin
de pouvoir, au retour, regarder bien en face vos concitoyens en
serrant leurs mains fraternelles, afin de pouvoir dire à vos mères
tu peux m'embrasser, maman, je suis digne de la France et digne de
toi ».
Discours de M. le commandant Cussec.
L
e commandant Cussec, en remettant deux palmes aux majors des deux
écoles, prononce l'allocution suivante :
« Mes jeunes camarades, dit-il, s'adressant aux
élèves de l'école navale, la ligue maritime, qui a voulu prendre
part aux joies de votre triomphe, a eu aussi la pensée d'honorer vos
morts glorieux. C'est pourquoi elle envoie vers vous la fleur de sa
jeunesse pour vous remettre cette palme qui, destinée à votre salle
d'honneur, symbolise à la fois les regrets que nous éprouvons pour
eux et les espoirs que la ligue et le pays mettent en vous. Mes
chers amis, dit aux mousses le commandant Cussec, dans notre pays
de Bretagne, on associe le souvenir des morts à toutes les fêtes, à
toutes les joies de la vie. C'est dans cet esprit que la Ligue
maritime vous apporte, avec cette palme, l'hommage de son pieux
souvenir pour vos morts glorieux. Vous savez combien les destinées
de votre école sont chères à la population brestoise qui vous
entoure. C'est en parfaite union avec elle que la Ligue maritime
vous dit : A eux notre admiration et nos regrets, en vous tous nos
espoirs »
M. le contre-amiral Estienne, major général remercie les membres de
la Ligue maritime du beau geste qu’ils viennent d'accomplir.
Cette cérémonie terminée chacun reprend sa place, lorsqu’un coup de
clairon prolongé annonce l'arrivée du ministre. On se presse dans la
foule, on se hausse pour mieux voir. Le long cordon des troupes
semble ressentir au même moment les effets d'une semblable
vibration, instinctivement, chacun rectifie la position. Au milieu
de la promenade, toute une armée de photographes et d'opérateurs de
cinéma débordent, plantant leur trépied, manœuvrant des appareils,
l’œil au viseur, prêts à actionner le déclic.
Venu par la rue Traverse, le ministre ne tarde
pas n'apparaître au milieu des dorures multiformes et étincelantes
des amiraux, des généraux, des officiers d'ordonnance. Grand, mince,
sanglé dans une longue redingote, canne à la main, M. Raiberti
s'avance à grandes enjambées vers la tribune qui lui est réservée,
tandis que des applaudissements saluent son passage. Autour de lui
prennent place : MM. Louppe, sénateur, président du Conseil général,
Desmars, préfet du Finistère, le vice-amiral Fatou préfet maritime,
Le Bail, député , le vice-amiral Schwerer commandant le front de mer
de l'Atlantique, le vice-amiral du Vignaux, le général Dessort,
commandant la division coloniale , le mécanicien général Bouchard,
1e commissaire général Gigout, le contre-amiral Pugliesi-Conli, le
commissaire général Rouchon-Mazerat, le contre-amiral Estienne,
major général, le général Pernot, commandant les subdivisions,
Vacqnier,,sous-préfet de Brest, le général Tanant, commandant
l'école spéciale militaire, le contrôleur général Bouju, Corre,
président du tribunal de commerce: J. Le Fraper, président de la
chambre de commerce, P. Tiercelet président de la fédération des
industriels et commerçants de d'arrondissement, Nicolas, président
de l'union des industriels et commerçants, Guillmard, procureur de
la République, Tissier, directeur des constructions navales,
Schmidt, directeur de l'artillerie navale, de Souza Guimaraës
vice-consul du Portugal, Roger, consul de S. M. britannique, , de
la Ménardière consul des Pays-Bas, docteur Le Gorgeu, Mocaër,
Février, conseillers généraux, Damany, directeur du service de
santé, Malllat, directeur des travaux hydrauliques etc, tous des
fonctionnaires. La municipalité n'avait pas cru devoir répondre à
l'invitation qui lui avait été faite. Un seul conseiller municipal,
M. P. Piriou avait pris place à la tribune. Entouré de sa suite
brillante. ML le ministre de la Marine est reparti maintenant vers
le haut du cours pour passer les troupes en revue. Lorsqu'il
revient, au pied du mât de pavillon dressé devant l'entrée même de
la tribune, se tiennent un premier maître et un maître.prêts à
envoyer les couleurs.
Discours du ministre de la Marine
Le général Porte, sous le commandement de qui sont placées les
troupes, commande « gardes à vous ! ».
Et tandis que soldats et marins s'immobilisent, que la foule fait
silence, M. Raiberti, d'une voix forte, articulant nettement,
s'exprime en ces termes :
« Au nom du gouvernement de la République, j'apporte à l'École
navale la croix de la Légion d'honneur. Depuis sa fondation, en
1830, l'École navale a formé 6000 officiers de marine au culte de la
science, de l'honneur, de L'abnégation et du sacrifice. Héritière
des Ecoles qui l'ont précédée, elle incarne la gloire des
états-majors de la Marine à travers trois siècles d'histoire.
J'apporte aussi à l'École navale la croix de guerre. Je l'apporte en
même temps aux Écoles du commissariat, des officiers mécaniciens,
des apprentis marins et des apprentis mécaniciens. Le gouvernement
de la république a voulu réunir dans le même hommage les officiers
de la marine et les équipages de la flotte, comme ils s'étaient
réunis par l'héroïsme pendant la guerre, à la surface et dans la
profondeur des mers, sur terre et dans l'air. Les Écoles de la
marine sont un des plus purs foyers de l'héroïsme national. Comme
la marine elle-même, elles sont les dépositaires des plus belles et
des plus rares qualités de l'âme française. En les honorant, le
gouvernement ne fait que devancer le jugement de l'Histoire.
Bientôt, je l'espère, non loin de cette rade qui fut, pendant la
guerre, le théâtre d'un merveilleux effort; à l'extrémité de cette
terre de Bretagne, patrie des hommes de mer, fertile en héros,
s'érigera le monument que la piété nationale a voulu dédier à ceux
que la guerre et la mer nous ont pris. A ceux-là d'abord doit aller,
en ce jour, notre pensée reconnaissante. Lorsqu'ils sont partis,
vous n'aviez pas encore, jeunes gens, l'age d'homme. Ils ont péri
pour que la France vive et que vous viviez. Vous vivrez dans
l'honneur de la paix reconquise. Bénéficiaires de leur sacrifice,
héritiers de leur gloire, vous avez charge de perpétuer leur
mémoire, vous serez dignes d'eux, dignes de vos Écoles qui ont fait
d'eux ce qu'ils furent, et ce que vous serrez : des vaillants. Vous
serez dignes de la Marine française, de son passé et le son
avenir ».
Des applaudissements nourris
éclatent.
« Présentez vos armes !
» commande le général Porte.
« Ouvrez le ban ! »
Lorsque les clairons se
sont tus, M. le capitaine de vaisseau Nielly donne lecture des
citations de l'école navale dont il exerce le commandement. Le
ministre de la marine accroche ensuite en tête du pavillon de
l'école la croix de la légion d'honneur et la croix de guerre.
« Attention pour les couleurs ! ». Les officiers-mariniers
s'apprêtent. Puis au commandement de « Envoyez ! » ils déploient
lentement le pavillon, puis l'élèvent vers le sommet du mât, tandis
que les clairons sonnent 1e salut au drapeau.
La Marseillaise qu'exécute ensuite la musique de la flotte,
est par tous respectueusement écoutée.
A présent, l'on va remettre aux diverses écoles
la croix de guerre attribuée à chacune d'elles. Tour à tour, le
ministre épinglera la décoration au centre d'un cadre qu'un élève
lui présentera. Auparavant, chacun des commandants donnera lecture
de la citation à l'ordre de l'armée qui honore aujourd'hui son école
: M. le capitaine de vaisseau Nielly, pour l'école des élèves
officiers de marine, le mécanicien inspecteur Bertrand, pour l'école
des élèves officiers mécaniciens de la marine, le commissaire
Douillard pour l'école du commissariat de la marine, le capitaine de
vaisseau Hamon pour l'école des apprentis-marins, le mécanicien
Inspecteur Baron, pour l'école des apprentis mécaniciens de Lorient.
Simple, mais infiniment touchante, cette partie de la cérémonie se
déroula au milieu de l'attention et de l'émotion générale. Les
troupes se déplacent. Elles vont se masser place du Château pour
défiler. Les clairons et les tambours du 19é se font entendre. La
musique des équipages de la Flotte, qui vient ensuite, joue Sambre
et Meuse.
Le général Porte précède les troupes suivi du capitaine de vaisseau
Nielly. Les délégations des écoles polytechnique et Saint-Cyr sont
très applaudies. Dans le public, on manifeste le regret de ne pas
voir en leur compagnie une délégation de l'école de médecine navale.
Derrière les capotes bleues des Saint-Cyriens, les noirs uniformes
de l'École navale présentent une symétrie qui dénote une éducation
militaire complète. Les applaudissements crépitent. Voici maintenant
en lignes profondes les fantassins du 19é. Leur allure souple est
très remarquée. Les mitrailleuses, qui jouent aujourd’hui dans un
régiment un rôle particulièrement important, ferment la marche.
Derrière la nouba de ses tirailleurs malgaches, le colonel Méchet
conduit le 2é d'infanterie coloniale. Sous leur casque kaki, les
marsouins ont la fière mine des vieux brisquards. Et au passage de
leur drapeau affreusement mutilé, bien des cœurs battent plus fort.
Le capitaine de frégate Pochart conduit les marins : ceux de la
Meuse, des compagnies de formation du Diderot, du Condorcet, et
l'impeccable défilé de ceux qu'on appela « les demoiselles au
pompon rouge » , précisément au moment où ils jouaient un rôle si
glorieux, à l'un des moments les plus critiques de notre histoire,
est souligné de bravos.
La musique de la flotte s’est tue, les sons
aigrelets des fifres montent sous les grands arbres de la promenade,
ils traduisent une marche bretonne universellement connue.
Crânement, les mousses de l'Armorique et tes apprentis marins du
Magellan„ suivis des apprentis mécaniciens, s'avancent, tandis que
les applaudissements unanimes saluent leur passage. Un temps, un
silence, puis ce sont les trompettes du 2° d'artillerie coloniale
qui retentissent avec gravité. En ordre parfait, les cavaliers
défilent suivis des caissons et des pièces. Les artilleurs, eux
aussi, sont applaudis, et lorsque les gueules menaçantes de leurs
derniers canons ont disparu, le général Porte s'avance vers la
tribune, et, d'un geste large, salut du sabre. La revue est
terminée.

Les félicitations du ministre
A l'issue de la revue, le
ministre de la Marine a adressé la lettre suivante au préfet
maritime
"Mon cher amiral,
Au sortir de l'émouvante cérémonie de la remise des décorations aux
écoles de la marine, je veux vous exprimer le sentiment de fierté
que j'ai éprouvé devant la superbe tenue et l'allure des élèves
officiers des soldats, des marins, des apprentis-marins et
mécaniciens, qui ont défilé au milieu des acclamations patriotiques
d'une population qui a tenu à affirmer une fois de plus son profond
attachement à la marine. Je suis heureux de vous adresser mes plus
vives félicitations et je vous prie de transmettre l'expression de
ma satisfaction au général commandant les troupes, ainsi qu'aux
commandants des écoles de la marine. »
Avant le défilé
Dès 13 heures, la foule se presse aux Portes de t'arsenal et va
occuper, sur les deux rives de la Penfeld, les divers emplacements
réservés. Tous les bâtiments ont arboré le grand pavois. La plage du
Condorcet est garnie d'un essaim de jeunes lycéens et lycéennes,
membres de la Ligue maritime. Les mutilés de la guerre occupent les
premières places, près du pont n° 3. Les équipages des écoles
navales sont à bord du Paris qui, avec la Ville d'Ys, le
grand sous-marin Helbronn et un hydravion, bordent la rive
droite : ce sont les plus beaux types de notre marine de guerre du
20° siècle qui forment comme une garde d'honneur à la marine
d'antan. Leurs équipages et leurs états-majors sont aux premières
loges pour assister au défilé des marines royale et impériale qui,
pourtant si savantes et si réputées, ignoraient les complications de
la machinerie des torpilles et de la T. S. F. Des milliers de
spectateurs sont massés sur le boulevard Thiers, le boulevard de la
Marine, les bastions du Château et aux abords du pont National, qui
s'ouvrira pour le passage des bâtiments. L'heure du défilé coïncide
en effet, avec la haute mer et plusieurs frégates sont hautement
gréées. Mais, c'est qu'aussi notre grand pont a bien prés de 60 ans
d'existence, il n'aime pas les foules, il faut être prudent ! Un
service d'ordre de la police municipale auquel collaborent quarante
gendarmes des brigades voisines, est d'ailleurs parfaitement
organisé par M. Piétrera, commissaire central.
L'arrivée du ministre
14h30. Le pavillon tricolore est hissé à la mâture du bâtiment de
l'Horloge, le ministre et sa suite franchissent en automobiles la
grille Tourville et s'arrêtent devant la majorité générale. La
musique des équipages de la flotte joue la Marseillaise M.
Raiberti fait le tour de la salle de bal dont il admire la très
jolie décoration, puis va prendre place devant la majorité générale
pour assister au défilé.
Les artisans du triomphe
Du quai des subsistances, le défilé commence, lent et majestueux
sous la direction de M. le lieutenant de vaisseau Faion, dans le
cadre, à la fois harmonieux et sévère de la Penfeld. Comme en une
leçon de choses, les " fistots » vont voir revivre sous leurs yeux
la marine de leurs anciens - de leurs Grands Anciens - et les
Brestois tout comme leurs ancêtres, vont assister à l'entrée dans le
port des
vaisseaux et frégates d'autrefois parfaitement
reconstitués. Bien entendu, ce n'est que du camouflage, les toiles
peintes recouvrant 1a coque de chasseurs et de baleinières, des
gréements réduits, des vaisseaux en miniature, mais tout est exact
dans la forme, les gréements et les proportions. Et tout a été fait
"avec les moyens du bord ", c'est à dire avec bien peu de choses et
très peu d'argent : des cotisations individuelles et de petites
subventions prélevées sur le fonds de distraction des équipages.
C'est dire aussi que pour mener à bien une telle oeuvre, il fallut
la haute direction de M. le vice-amiral Fatou, l'ingéniosité très
éclairée de M. le capitaine de vaisseau Loyer, directeur des
mouvements du port, le goût artistique de M. l'enseigne de vaisseau
Duval, l'humoristique auteur des nouvelles " Cartes de Brest et de
Cherbourg ". Des artistes aussi - et non des moindres - ont
collaboré au Triomphe de l'École navale : le grand peintre de
marine, Charles Fouqueray qui a dessiné le programme et dont l'une
des premières oeuvres exposées au Salon orne la salle de bal ;
Gérard Cochet, le maître de la gravure sur bois, l'illustrateur du
"Candide", de " Marie Chappedelaine ", de "l’Homme qui assassina ",
qui est venu donner aux vaisseaux un dernier coup de ripolin, ou
plutôt de "fixe à l'eau ", car - sans réclame- ça coûte moins cher ;
le peintre de marine Guy Arnoux qui dessina l'affiche "A la gloire
des écoles de la Marine » ; M. l'officier principal des équipages
Camus ; MM. les officiers des équipages Guèdes et Le Mée, le maître
charpentier et le maître mécanicien de la direction des mouvements
du port, tout le personnel de la D. P, rivalisèrent également de
zèle et d'efforts pour la réussite de ce "Triomphe".
Les costumes, reconstitués d'après les maquettes du peintre CH.
Fouqueray et le l'enseigne de vaisseau Duval, ont été fournis par la
maison Granier, les perruques par la maison Néant et les chaussures
par la maison Galvin.
Le défilé historique

Le Conquérant
Voici d'abord le, vaisseau Le Conquérant (1681), dont les
flancs, percés de sabords laissent passer les gueules des canons ;
des feux de commandement aux lanternes dorées couronnent les angles
et le milieu de la poupe. Il prit part, en 1689, à la bataille du
cap Béveziers ou Tourville battit la flotte anglo-hollandaise,
glorieuse journée pour les gardes-marine car ils "firent bien»,
suivant la brève et éloquente expression de Tourville lui-même. Le
Conquérant a sa vergue de civadière sous le mât de beaupré ;
il arbore le pavillon blanc aux fleurs de lys d'or ; la proue et le
gaillard d'arrière, sont ornés de sculptures. A bord est M. Anne-hilarion
de Cotentin de Tourville (lieutenant de vaisseau Adelus), dont Saint
Simon disait qu'il était, « de l'aveu des Anglais et des
Hollandais, le plus grand homme de mer de son siècle ».
Avec lui,
le chef d'escadre Gabaret (aspirant Fournier), qui commandait
l'arrière-garde à La Hougue ; de Beaulieu (aspirant Lesage), un
autre commandant des frégates de l'Académie navale flottante; les
lieutenants de l'Isle (aspirant Baudet), de Colombe (aspirant
Lherminier) , le petit de Nessac (aspirant Delport), le professeur
Coubart (élève-commissaire Le Briz) , l'intendant de Vauvre
(élève-commissaire Borderies), l'illustre sculpteur et architecte
naval Pierre Puget (élève-commissaire Prat).
La Dauphine
Une galère fine et élancée suit dans 1e sillage, c'est la
Dauphine (1720), avec ses arbres de mestré et de trinquet, aux
antennes chargées d'oriflammes fleurdelysés. Elle porte l'étendard
rouge et blanc des galères de France; à l'arrière, le pavillon de
combat et le grand pavillon royal. Le vice-amiral d'Estrées
(lieutenant de vaisseau Zeller), premier commandant des gardes lors
de leur formation en 1670, est, en grande tenue de maréchal de
France, au gaillard d'arrière, entouré de ses gardes-marine, jeunes
turbulents dont il était, dit-on, fort craint, car à la moindre
querelle, il les expédiait sur Toulon à la Grosse Tour et à l'Esguillette.
Les gardes (aspirants Philippe, Lasockj, Point, Dupont, Jansenn et
Barrelon) portent l'habit bleu de roi doublé de serge écarlate,
l'aiguillette d'or sur l'épaule droite, 1e chapeau à la mousquetaire
et la cocarde blanche. A bord est Duguay-Trouin (lieutenant de
vaisseau Pelliet), le fameux corsaire dont les états-majors étaient
composés, en grande partie, de gardes-marine braves, entreprenants,
toujours les premiers au feu et à l'abordage, et aussi l'un de ses
plus glorieux capitaines qui devint chef d'escadre, M. des Herbiers,
marquis de Létuandière (aspirant du Gardin).
Le Provençal
Le chebec Provençal (1775), aux formes élégantes avec ses
trois-mats à pible, porte la marque de Suffren (lieutenant de
vaisseau Giraud). Près de lui, deux anciens élèves de l'école de la
Marine royale du Havre : le commandant du Couëdic (lieutenant de
vaisseau Comentry) et son lieutenant, le tout jeune chevalier de
Loslange (aspirant Machenaud) qui s'illustrèrent dans le fameux
combat de la Surveillante contre le Québec, le 6 octobre 1779
l'intendant de Broglie (élève-commissaire J.Marty); le chevalier de
Borda.
L'école de la marine du Havre qui fut fondée en
1773 et ne dura que deux ans, est représentée par les aspirants
Gentil et de Saint-Affrique, ils portent l'habit de drap bleu, veste
et culotte écarlate chapeau demi-castor. Les élèves-gardes
(aspirants Guillamon et de Lesquen) ont l'habit bleu de roi et le
chapeau à la mousquetaire. Les matelots sont revêtus de la veste en
estamête, culotte longue, 1e gilet "à la matelote ", le chapeau rond
ciré.
Les Droits de l'Homme
Puis s'avance, avec le pavillon aux trois couleurs à ses trois mâts
et à la corne de brigantine, le casque à chenille de l'ancien Borda
à la poupe, le vaisseau a deux batteries les Droits de l'homme
qui s'illustra, le 13 janvier 1797, dans son combat contre
l'Infatigable et l'Amazone, et se perdit, quelques jours
plus tard, dans la baie d'Audierne, au milieu d’une affreuse
tourmente. L'amiral Dupetit- Thouars (enseigne de vaisseau Le Floch)
et l'amiral Villaret-Joyeuse (enseigne de vaisseau Lucas) portent
l'écharpe tricolore et la cocarde nationale, les officiers de marine
de la Révolution (aspirante Stanf, Querrat et Jéhenne) ont l'habit
de bleu national, boutons timbrés d'une ancre surmontée du bonnet de
la Liberté, le chapeau à trois cornes, sans galons. Les aspirants
Constantin et Delatre représentent les élèves des collèges maritimes
de Vannes et Alais, qui fonctionnèrent de 1787 à 1791.
Le
Canot de l'Empereur
Et voila le plus beau bâtiment de ce pittoresque et glorieux
cortège. Celui-là n'est pas camouflé. C'est l'authentique canot
de l'empereur construit en 1811 et qui ne servit croyons-nous,
que deux fois : pour Napoléon 1er, lors de sa visite des bouches de
l'Escaut, et à Napoléon IIII et l'Impératrice, quand ils firent leur
entrée dans le port de Brest, en août 1858. Dans le magnifique rouf,
surmonté d'une vaste couronne impériale, soutenue par quatre amours,
se tiennent l'amiral Bruix (enseigne de vaisseau Orange) et un
officier aide de camp des marins de la Garde (enseigne de vaisseau
Berriet). A l'avant, si harmonieusement décoré d'un Neptune et de
deux tritons dorés, deux aspirants le la marine impériale (
aspirants de Lasborde et Hermann). A l’arrière, près du plat-bord,
orné de guirlandes de lauriers et de myrthes entrelacés, des élèves
de l'école flottante créée par Napoléon en 1807 (aspirants de
Breneuf et Terlier) , ils portent l'habit et la culotte de drap
bleu, le chapeau noir " à la matelote" bordé d'une ganse d'or. Le
Canot de L'Empereur vogue au vol des rames, sous l'impulsion
vigoureuse de vingt-huit apprentis-marins du Magellan coiffés
du chapeau de cuir bouilli et le sabre d'abordage en bandoulière.
Jamais ils n'ont souqué sur d'aussi beaux avirons : à chacun de
leurs mouvements, un poisson doré, peint sur la pelle, semble
émerger des flots.
La Sylphide
Une élégante corvette de 1820, la Sylphide, porte l'une des
plus grandes figures de la marine française, l'amiral Duperré
(lieutenant de vaisseau Doby), qui était le vingt-deuxième enfant
d'un receveur de tailles, quitta le collège à l'age de 12 ans, par
suite des revers de fortune qu'éprouva sa famille, et devint amiral
et pair de France. A ses cotés, le prince Joinville (enseigne de
vaisseau Morlaas-Tacannes) et ses aides de camp (MM. de Roo et Greau),le
célèbre navigateur Dumont d'Urville (enseigne de vaisseau Autret)
,les élèves (aspirants Monlierat, Galleret, Koenig et Douguet), du
collège d'Angoulême établi en 1818, pour l'instruction théorique des
élèves de marine, Ils portent l'habit et le pantalon de drap bleu,
le chapeau « monté à la, française », les souliers bas avec boucles
de cuivre doré.
Le Crimée
Une baleinière du cuirassé Paris a été transformée en petit
remorqueur à roues, du type de ces premiers et fameux remorqueurs
qui conduisirent nos bateaux de guerre à leur poste de combat devant
Odessa, lors de la guerre de Crimée.
Le Volta
Voici enfin le croiseur en bois Volta, sur lequel l'amiral
Courbet descendit la rivière Min, sous le feu des forts chinois, au
moment de la déclaration de guerre avec la Chine, en 1884. L'amiral
(enseigne de vaisseau Pacé) est sur la passerelle, comme au combat
de Fou-Tchéou; près de lui, son chef de pavillon, le commandant
Gigon, dans les hunes, les matelots coiffés du chapeau de paille.
L'Arraisonnement
Après avoir longé les rives de la Penfeld, les navires s'arrêtent au
pont Tréhouart, où ils sont arraisonnés par M. l'enseigne de
vaisseau Duval, le grand metteur en scène de cette cérémonie. C'est
dans une tonne d'amarrage, figurant un minuscule Borda, « LA BAILLE
» qu'ont connue les « anciens » et à
laquelle ne manquent même pas les deux anses que M. l'enseigne
Duval hèle les bâtiments :
- Ho ! Du vaisseau ?
- le vaisseau Le Conquérant.
- Ho ! Du canot ?
- Le canot de l'Empereur
Les
élèves de l'école polytechnique, de Saint-Cyr et des écoles navales
sont alignés sur le pont Tréhouart et assistent au défilé des
officiers et équipages qui, tour à tour, quittent leurs bâtiments.
Amiraux et chefs d'escadre s'inclinent en passant devant le
ministre, et l'amiral Villaret-joyeuse accompagne son salut de ces
mots « Citoyen ministre, nous te saluons au nom de la République une
et indivisible ».
Le Bal
Sous la direction de M. le capitaine de vaisseau Loyer, la salle des
approvisionnements a été métamorphosée en une salle de bal du plus
gracieux effel. L'artiste peintre Chérec, MM. Colliou, capitaine de
la compagnie des pompiers de la marine, Josse et Petit, officiers
des équipages de la flotte et leurs marins ont apporté tout leur
zèle et leur goût à la décoration de la salle. Murs et plafonds sont
tapissés des pavillons les plus variés, et leurs couleurs
étincellent sous des flots de lumière électrique. Le tableau de Ch.
Fouqueray exposé au salon de 1898 : « La mort de Dupetit-Thouars à
bord du Tonnant, à Aboukir », orne l'entrée de la salle. Au
fond, au-dessus de « Honneur et Patrie » splendidement illuminés,
une croix de la Légion d'honneur et une croix de guerre et le grand
buste en bois du chevalier de Borda, qui après avoir été si
longtemps en rade de Brest, attaché à la proue du bâtiment de
l'École navale, semble sourire de se voir présider une telle fête,
dans un magasin de l'arsenal. Les colonnades du Hall, entourées de
lauriers, supportent les bustes des plus grandes gloires maritimes
de la France. Des fleurs et des plantes s'accrochent dans ce joli
décor.
L'entrée
du magasin général, donnant accès aux vestiaires, est splendidement
ornée et une galerie toute drapée d'étoffes chatoyantes, conduit à
la salle de bal. M. Raiberti prend place sur une petite estrade
d'honneur où se trouvent rassemblés : MM. Louppe, sénateur, et. Le
Bail, député du Finistère, Desmars, préfet, les amiraux et les
généraux. A ses côtés nous remarquons : Mmes Desmars, Fatou et
Vacquier. Et, aux accents d'airs anciens, voici le pittoresque et
nouveau défilé des amiraux, chefs d'escadre, capitaines,
gardes-marine et élèves des anciennes écoles qui sont
individuellement présentés au ministre par M. l'enseigne de vaisseau
Duval. L'histoire, l'héroïsme de chacun est hautement proclamé, M.
Raiberti accueille, avec beaucoup de grâce, toutes les belles
révérences que lui font certains de ses prédécesseurs au fauteuil de
Colbert et c'est en termes chaleureux qu'il félicite MM. le
capitaine de vaisseau Loyer et l'enseigne de vaisseau Duval,
organisateurs de cette parade historique qui a ressuscité les
souvenirs d'autrefois. Jusqu'à 19 heures, les musiciens des
équipages de la flotte firent valser et fox-trotter d'élégantes
danseuses avec les marins du grand siècle, les polytechniciens, les
Saint-Cyriens et les fistots. Cette journée comptera, dans les
fastes de l'École navale.
Elle a grandement honoré le souvenir de tout un long passé de gloire
de la marine française et exalté la gloire des « anciens ».
Une manifestation
La belle
ordonnance du « Triomphe » a malheureusement été troublée par une
manifestation des plus inopportunes.
Des ouvriers
de l'arsenal, massés sur la rive droite de la Penfeld, ont cru
devoir accueillir l'arrivée de M. Raiberti par ce que les rédacteurs
parlementaires nomment des « cris divers ». En outre, tant que dura
le défilé historique, ils firent alterner les « Hou ! Hou ! » et
les sifflets avec le chant de l'internationale. Le vaisseau "Les
Droits de l'Homme" même, avec son équipage de sans-culottes, ne
trouva pas grâce devant eux. Il est profondément regrettable que les
ouvriers de l'arsenal n'aient pas compris qu'en se comportant de la
sorte, ils contribuaient à entretenir cette mauvaise réputation
attachée au nom de Brest, et qui fait que lorsque l'on demande en
haut lieu quoi que ce soit en faveur de notre malheureuse ville, on
se heurte toujours à des refus polis. A tort ou à raison, on estime
à Paris qu'il n'y a rien à faire à Brest à cause du mauvais esprit
de la population ouvrière. Tant que cette conviction persistera dans
les milieux officiels et dans le monde industriel, on
n'obtiendra rien pour Brest. Qui en souffre, sinon l'ouvrier !
Voilà,
s'écriait l'autre soir en séance un conseiller municipal, voilà
comment, nous, nous recevons les ministres ! C'est vraiment très
habile.. C'est d'autant plus habile que la question des arsenaux est
actuellement posée devant le Parlement, et que les adversaires de
l'étatisme ne manqueront pas de tirer argument de la manifestation
d'aujourd'hui ! Compliments à MM. les meneurs. Ils ont fait du beau
travail...
La musique du défilé historique
Les
organisateurs du Triomphe de l'École navale ont voulu ajouter à
l'intérêt du spectacle en faisant entendre, pendant le défilé des
bateaux, des airs du temps, des airs authentiques, que la
bibliothèque du Musée de l'Armée a bien voulu mettre, pour cette
manifestation maritime, à la disposition de M. Mayan, le distingué
chef de la musique des équipages de la flotte. Sept numéros
constituaient le programme de cette audition d'un caractère si
particulier. C'est une heureuse pensée d'avoir ainsi tenté de
rappeler, par l'apport d'une partie musicale très curieuse, les
divers stades de la marine française au cours des trois siècles
derniers. Tout d'abord, on a entendu la Marche de Henri IV, dont
l'air est semblable à celui de la chanson bien connue : « Vive Henri
IV, vive ce roi vaillant ! » qui n'est, en somme, qu'un air de danse
du xvi siècle. D'après la notice imprimée au verso de la partie
conductrice, cette Marche fut composée par du Gaurroy,
successivement maître de chapelle des rois Charles IX, Henri III et
Henri IV. La Marche tactique, qui suit, évoque le commencement du
dix-huitième siècle. C'était, disait la notice, la marche de la
11éme compagnie des mousquetaires du roi. Elle est dédiée à M. le
comte de Montboissier, capitaine-lieutenant de la 11éme compagnie
des mousquetaires du roi, lieutenant général des armées de Sa
Majesté, gouverneur de Bellegarde en Roussillon. Elle fut composée
par le chevalier de Lirou, mousquetaire à la même compagnie. Nous
voici à l'avènement du règne de Louis XVI, au commencement de la
guerre de l'indépendance américaine, à laquelle la France prit une
si glorieuse part. C'est une chanson populaire de France, Compère
Guilleri, dont, on ne connaît pas l'auteur, que la musique des
équipages exécute avec un brio remarquable. L'air est original et
piquant.. Nicolo a su l'utiliser dans son opéra comique Cendrillon.
Il paraît que les Guilleri étaient d'une noble maison de Bretagne
qui servirent, pendant la Ligue, sous les ordres du duc de Mercoeur
et qui finirent par devenir d'insignes brigands. Est-ce à leur sujet
que fut composée cette chanson ?
La République, proclamée en 1792, nous est rappelée par le "Chant
des Girondins". A dire vrai, la musique de ce chant célèbre, au
moins dans sa forme actuelle, est postérieure à cette date. Elle fut
composée en 1848 par Varney, le chef d'orchestre du théâtre
historique à l'occasion des représentations du Chevalier de
Maison-Rouge, d'Alexandre Dumas père, un drame dans lequel était
encadré l'épisode de la mort des Girondins. Mais déjà, en 1792,
Rouget de L’Isle, outre la Marseillaise, avait composé à
Strasbourg les paroles et la musique d'un autre chant patriotique et
guerrier, intitulé Roland de Roncevaux qui, trois ans plus
tard, allait devenir la chanson de route et de victoire des soldats
de Hoche à Quiberon. Ce chant contenait après chaque strophe un
refrain de deux vers ainsi conçus : « Mourons pour la patrie C'est
le Sort le plus beau, le plus digne d'envie ! »
Et en 1794, il écrivit encore un autre chant, Le Vengeur,
dans lequel il avait placé le même refrain, et qui rappelait la mort
héroïque et volontaire des marins du vaisseau Le Vengeur. On
voit qu'Alexandre Dumas avait emprunté à Rouget de Lisle les deux
vers de son refrain pour les placer dans son Chant des Girondins,
dont la mesure rythmique était d'ailleurs semblable à celle des
strophes du Vengeur. De son côté, Varney, sans reproduire
absolument la phrase musicale qui caractérise celui-ci, s'en inspira
très étroitement, en prit à la fois le rythme et l'allure, si bien
que l'on peu très justement dire de ce chant qu'il est, en parti, du
moins, comme un souvenir et un héritage de l'immortel auteur de la
Marseillaise.
Napoléon ! L'Empire ! Cette grande figure et cette grande époque
nous sont rappelées par la plus petite chose du monde, musicalement
parlant, par l'air : « Veillons au salut de l'empereur, Veillons au
maintien de nos lois, Si le despotisme conspire, conspirons la perte
des rois ! », de médiocres couplets que Dalayrac avait composés pour
son Renard d'Ast, vers 1792, et qui devinrent vite
populaires. Quelle idée eut l'empereur de choisir, parmi les chants
patriotiques de la Révolution, cette fade composition pour illustrer
les grands Événements de son règne ! Il est vrai que Napoléon III, à
son tour, fera d'une romance sentimentale de la reine Hortense :
Partant pour la Syrie, le chant officiel du second Empire.
Décidément, les Napoléons n'avaient pas le sens de la musique
héroïque. C'est l'hymne composé par Méhul, l'immortel auteur du
Chant du Départ, pour un drame d'Alexandre Duval, la Chanson
de Roland, représenté à la Comédie Française, qui va nous
rappeler la Restauration. Quel plaisir d'en tendre la mâle musique
de Méhul après l'insipide six-huit de Dalayrac !
Pour terminer le défilé, une Marche qui ne manque pas d'entrain et
répond bien à son nom, "la Luronne" - d'ailleurs dédiée à la marine
française - nous ramène à 1885, à la guerre de Chine, aux prouesses
de l'amiral Courbet dans la rivière Min et à Formose. Tous ces
morceaux valent surtout par leur côté pittoresque. La musique des
équipages les a rendus avec le talent, la précision, la maîtrise
qu'elle apporte à toute exécution. M. Mayan et ses excellents
musiciens méritent d'être grandement complimentés. Des éloges sont
aussi dus à la chorale de l'Armorique qui, sous la direction
du quartier-maître musicien Anfray, a chanté, pendant le défilé "le
quart de vin" et la "Frégate", deux vieilles chansons de mer qui
aidaient jadis à tourner le cabestan pour virer les ancres. La
partie musicale du défilé historique n'aura pas été l'un des
moindres attraits de la belle fête maritime à laquelle nous venons
d'assister .
JACQUES SINCERE.
En marge
Et l’école de BORDEAUX ?
On nous écrit :
Monsieur le rédacteur en
chef,
Dans de compte rendu de la cérémonie de la remise de la croix de
guerre aux écoles de la marine, il est probable que la "Dépêche de
Brest" rappellera le texte des citations obtenues. Voulez-vous, à
cette occasion, ne pas omettre l'école de santé navale et coloniale
de Bordeaux qui parait complètement oubliée. Une délégation de
Saint-Cyr, de Polytechnique, doit assister à la cérémonie, l'école
des apprentis mécaniciens de Lorient se fait représenter. Pourquoi
pas Bordeaux ?
Il existe cependant encore a l'école de santé
navale, et à celle-là seule parmi les écoles de la marine, des
élèves qui ont fait la guerre, qui sont décorés, et, qui auraient
été fiers d'avoir eux aussi leur « Triomphe ». L'école de Bordeaux a
été citée en même temps que l'école navale et l'école du
commissariat. Je ne connais plus les termes exacts la citation, mais
je sais qu'elle a été payée de la mort héroïque ou de la souffrance
de beaucoup de mes camarades et qu'elle témoigne d'un pourcentage de
citations qu'envieraient beaucoup d'écoles militaires. Bordeaux
méritait largement d'être associé à la fête de demain et il est
regrettable que son directeur n'ait rien obtenu dans ce sens. Je
compte sur votre journal pour réparer cette injustice et rappeler à
la population brestoise, la part prise, pendant la guerre, parmi les
élèves des écoles de la marine par les étudiants qu'elle connaît
bien.
Un ancien élève de l'école
de Bordeaux.
Un don généreux du ministre aux
pauvres de la ville
A l'occasion de son séjour
à Brest, M, le ministre de la Marine a remis à M. le maire de Brest
la somme de cinq cents francs pour les pauvres de la ville. Cette
somme a été versée au bureau de bienfaisance.
Autre article
Presse / Le Monde Illustré - 1922
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