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Officiers et anciens élèves -
Frédéric Alfred THEIL
(1838 - 1859)
Né le 18 janvier 1838 à
NANCY (Meurthe-et-Moselle) - Décédé le 23 juillet 1859 à TOURANE (Da
Nang - Vietnam)
Entre dans la marine en 1854.
Aspirant de 2ème classe
le 18 avril 1855; port TOULON.
Embarque sur la "SAÔNE"
Enseigne de vaisseau,
promu Chevalier de la Légion d'Honneur au jour de son décès.
Complément :
.../... Alfred après
les premières études entra à Louis Legrand . C’était un grand jeune
homme , très sérieux , très bon, très travailleur et qui semble
avoir été le confident de sa mère pour laquelle il avait un culte .
Il dessinait comme Gustave Doré , parlait l’Anglais comme le
Français . On le prenait souvent pour un Anglais Fort distingué avec
cela . On pensait pour lui à polytechnique lorsque à 16 Ans s’étant
présenté à l’école Navale à Brest, il fut reçu 1er .
Il n’y resta qu’un an .
C’est la promotion qui suivit en Russie les cours de 2eme année et
dans laquelle étaient l’amiral Gervais et Mr Ernest Tabareau , neveu
de ma vielle grande tante . Il fit quelques mois de service à Brest
.
A 20 ans, il partit
pour l’expédition de Cochinchine , il fut très brillant à l’affaire
Hué et porté pour la croix . Il prit la fièvre mais ne voulut pas
écouter le médecin chef Mr de Commeras , parent de son oncle .. Il
s’alita et fut vite considéré comme perdu . Il disait ‘’ si je
savais que je sois décoré , je mourrai tranquille , quelle
consolation pour ma pauvre mère .
Hélas, lui-même l’ignorait , du moins en ce monde , car il mourut le
23 juillet 1859 …. Le lendemain il était porté au cimetière de
Tourane avec cette croix si méritée , arrivée le matin posée sur son
cercueil.
L’amiral Mario alors
enseigne encore comme lui , tenait un des coins du drapeau
tricolore…. Plus tard, j’avais 8 ans l’amiral me raconta ce qui
suit. Ma tante Aspasie vivait à Paris avec sa vielle mère . Un an
avant la mort d’Alfred , elle prit le deuil . On s’en étonna . Elle
garda le silence envers tous , sauf Mario. Elle lui dit avoir eu une
sorte de vision de la baie de Tourane (qu’elle décrivit en détail ,
sans jamais en avoir entendu parler ) y plaça l’enterrement d’Alfred
, sans oublier la croix sur le cercueil , ajouta que lui, Mario, y
serait présent
Le vieil Amiral était
encore bouleversé de la chose en me le narrant 20 ans Après. Ce don
de seconde vue de ma tante était souvent en éveil même pour des
circonstances moindres.
On avait vu à
l’officiel la promotion d’Alfred dans la légion d’honneur . Ma
grand-mère justement fière fit une visite pour l’annoncer . Elle
arrive chez sa fille de Commeras avec mon grand père , ma tante
Mathilde , mon père, ma mère qui nourrissait mon frère ainé Frédéric
; on voulait avec ménagements lui dire l’affreuse nouvelle. Mon
cousin Gabriel âgé de 4 ans , s’élance au devant de ma grand mère en
disant :
« Tu ne sais pas, bonne maman , l’oncle Alfred est mort ! »
Cette pauvre mère regarde autour d’elle les visages consternés et
tombe raide évanouie . Le coup fut trop dur pour une femme à l’âge
critique , brusquement atteinte . Elle ne s’en remit plus , fut
désespérée et n’eut plus une minute de joie.
LETTRE DU CHIRURGIEN
QUI A SOIGNE ET ASSISTE AUX DERNIERS MOMENTS DE L’ASPIRANT ALFRED
THEIL
Tourane 28 Juillet
1859.
J’hésite à prendre la
plume , mon cher Jules, mais il le faut bien ; car je t’avouerai que
je n’ai pas eu le courage d’écrire moi-même à Mr Theil . Ce
préambule a pour but de t'annoncer une catastrophe , un grand
malheur qui vient de frapper la famille de Mr Theil devenue la
tienne aujourd’hui . Le pauvre Alfred est mort à bord de la Némésis,
le 23 Juillet à 2 Heures du matin , d’un accès de fièvre
intermittente aux avant-postes, endroit infect , qui nous a fait
perdre la meilleure partie de nos troupes . Nous l’avions soigné
plusieurs fois à bord de la frégate , mais à peine rétabli, il nous
fut impossible de le retenir, c’est en vain que j’usai de toute mon
influence pour qu’il restât à bord. Là du moins , il était à l’abri
des miasmes. Des avant-postes il avait été dirigé sur la rivière ,
où il commandait une batterie d’obusiers . La fièvre ne le quittait
guère, et il faut dire qu’il n’y faisait pas grande attention. A
l’affaire du 8 Mai il s‘était conduit avec beaucoup de bravoure ; on
l’avait proposé pour la Croix. Depuis ce moment, il n’aurait pas
quitté son poste pour rien au monde et ce poste était un endroit
infect, d’où nous venaient la plupart de nos malades qui venaient
mourir à bord .
Depuis le 8 Mai il
était revenu à bord une troisième fois , pour se faire traiter ,
mais à peine rétabli, il nous fut impossible de le retenir plus
longtemps à bord ; tous les raisonnements venaient se briser contre
une volonté arrêtée . D’ailleurs l’Amiral était au camp avec ses
troupes et là était le danger.
Je restai quelques
jours sans avoir de ses nouvelles, mais je savais qu’il avait
toujours la fièvre. Le 19 j’allais au camp en service et je trouvai
ce pauvre enfant très changé, et atteint d’une fièvre atroce qui ne
le quittait plus.
Je donnai l’ordre qu’il
fut dirigé sur la frégate ; il n’y arrive que le lendemain 20, dans
un état déplorable , la tête en feu, la fièvre et un délire constant
. Nous parvînmes à lui faire accepter quelques soins, non sans
peine, car il ne voulait pas se soigner, et n’écoutait que moi . Les
principaux accidents disparurent, mais le délire persistait, ainsi
qu’une exaltation cérébrale, des plus intenses . Le 21 la fièvre
cessa, mais le délire n’en continua pas moins. Nous continuâmes la
médication la plus active. Le 22 au matin la fièvre avait reparu
aussi forte que les jours précédents, les accidents nerveux ne
faisaient qu’augmenter. Nous avons usé de toutes les ressources de
notre art. Dans la nuit du 23 à minuit, les convulsions
commencèrent.
J’envoyai chercher le
père Croq missionnaire du Tonquin, qui lui administra les derniers
sacrements.
Enfin après une courte
agonie, il expira à 2 Heures du matin. Il a eu pendant sa maladie
les soins les plus minutieux. Nous ne l’avons pas perdu de vue un
quart d’heure, mon second ou moi. Un infirmier et un domestique
étaient toujours auprès de lui. Tu pourras dire à la pauvre mère, si
cela peut être pour elle une consolation, que je lui ai fermé les
yeux, et qu’il n’a été touché par personne que par moi ou mon
second. Nous l’avons enseveli à nous deux et l’avons traité comme on
fait d’un frère ou d’un père. Il repose avec beaucoup de ses amis,
sur tertre qui domine la rade de Tourane .
On lui a rendu tous les
honneurs compatibles avec notre position. Il y avait beaucoup de
monde à son enterrement. Une pierre de granit, portant ses noms et
qualités, va s’élever sur sa tombe. Son ami intime Mariot , s’est
occupé avec beaucoup de sollicitude, de toutes ses petites affaires,
tout a été réglé , et l’on enverra par la plus prochaine occasion
ses effets et ses livres. Mariot voulait écrire à Mr Theil; je l’en
ai dissuadé , préférant que ma lettre arriva la première. Ta
position dans la famille te permettra de ménager ces braves gens qui
en ont grand besoin. Sois mon interprète auprès de cette pauvre
famille et fais leur accepter mes bien sincères compliments de
condoléances. Dis leur encore que pendant son délire ce pauvre
enfant causait de sa famille, de vous tous mais ce qui dominait le
tout, c’était une exaltation cérébrale à propos de sa croix, des
attaques en rivière, de l’Amiral, etc….
Ce pauvre Alfred m’est
arrivé foudroyé et très probablement il aura aggravé ses fièvres par
quelque insolation, maladie qui ne pardonne jamais ici. Tu
comprendras aisément qu’à l’âge d’Alfred, alors que l’on a la fièvre
incessamment, la vie des camps sous la tente avec tous les oublis de
l’hygiène qu’elle entraîne forcément avec elle n’est pas faite pour
amener à bien une infection paludéenne qui datait au moins de six
mois. Les deux derniers mois qui viennent de s’écouler nous ont
enlevé plus de 300 hommes, morts la plupart de la même manière que
ton pauvre Beau Frère.
C’est une grande perte
que vient de faire la famille . Mieux que personne je me met à sa
place , et je comprends tout ce que sa douleur a de poignant et
d’atroce. Les épisodes de ce genre ne sont que trop fréquents dans
cette horrible contrée.
Si l’occupation de la
Cochinchine continue nous y resterons tous. Enfin, il faut s’armer
de patience et de résignation et se borner autant que faire se peut.
Voilà bientôt trois ans que je suis en Chine, et je t’assure mon
cher Jules que j’ai souvent assisté à des spectacles semblables à
celui que je viens de te raconter.
La mort de ce pauvre
Alfred a jeté beaucoup de tristesse parmi nous. c’était une bonne
nature. Il n’avait qu’un défaut , c’était la jeunesse, mais il
rachetait le tout par d’excellentes qualités que j’appréciai mieux
que personne. Dis à la famille Theil que je mêle mes larmes aux
siennes et que j’ai ressenti bien douloureusement le coup qui l’a
frappée. Rien ne saurait adoucir une pareille douleur; le temps seul
peut en adoucir l’amertume en vous laissant de ceux qui ne sont
plus, un pieux souvenir. Qui peut prévoir ce qui nous est réservé
ici ? Il est impossible de dire quelle sera la fin de cette question
de Cochinchine ? Et pourtant nous restons exposés à tous ces fléaux
qui frappant brutalement à droite et à gauche.
Adieu mon cher cousin,
embrasse de ma part tous les moutards que je ne connais pas, et
renouvelle à ta femme les sentiments de profonde douleur que j’ai
partagés avec tous les siens.
Je te serre bien
affectueusement la main, et suis pour la vie
Ton bien affectueux
cousin
J. De Comeyran
Hong-Khong (Chine)
Extrait Le Siècle / 27
juillet 1859
Source web et nombreux compléments dont journal écrit par lui-même
/ "Site de la famille du Chevalier Goybet".
Dossier Légion
d'Honneur /
Lien web
Remerciements Stéphane Giran
Remerciements à Gilles Jogerst / Généamar pour ses recherches
et la mise à disposition de ses données
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviation-marine/marine-1914-1918/liste_sujet-1.htm
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