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Officiers et anciens élèves -
Yves Marie
PONY
(1887 - 1911)
Né le 22 janvier 1887 à PLOUGUIEL
(Côtes-d'Armor) - Décédé le 10 mai 1911 à BREST (Finistère)
Frère de Jean-Michel, officier de
marine. Né le 27 septembre 1889 à PLOUGUIEL (Côtes-d'Armor). Décédé
le 11 mai 1973 à PLOUGUIEL (Côtes-d'Armor)
Entre dans la Marine en 1905
Aspirant le 5 octobre 1908; port
BREST.
Au 1er janvier 1909, sur le croiseur
cuirassé "BRUIX", Division navale d'Extrême-Orient (Cdt Louis
JOCHAUD du PLESSIX).
Au 1er janvier 1911, port BREST.
Extrait Ouest-France /
17 avril 1911
Extrait La Dépêche de
Brest / 9 mai 1911
Extrait La Dépêche de
Brest / 10 mai 1911
...
...
Extrait La Dépêche de Brest / 12 mai 1911
Extrait Ouest-France /
12 mai 1911
Complément
d'information :
Le futur auteur du
Grand Meaulnes, Alain Fournier, publie cette courte nouvelle dans la
NRF, N°33 du 1er septembre 1911.
"Gide l'accepte avec
compliments", nous dit Fournier, "mais sans enthousiasme" car le
jeune écrivain ne fait pas vraiment partie de ses disciples.
Le titre du récit ainsi
que la citation en exergue sont inspirés de Péguy (Œuvres choisies
(1900-1910). "Portraits d'homme"), que Fournier lit alors avec
passion et qui sera jusqu'au bout un de ses grands inspirateurs.
L'actualité lui fournit
le sujet de la nouvelle : il apprend par la presse au printemps 1911
le suicide d'un jeune enseigne de vaisseau, Yves-Marie Pony, qui
avait été son condisciple à Brest, lorsqu'il préparait École Navale.
Et voilà les souvenirs
qui resurgissent : la vie de lycéen, que Fournier a détestée, Brest,
ville froide et morne, loin de sa famille, "les âmes brutales" de
ses camarades, futurs officiers de marine.
Le texte est achevé en
juin 1911.
L'auteur l'adresse à
l'un de ses amis : si la fin du récit lui semble raté, il est
satisfait de plusieurs belles pages, ce qui l'encourage à écrire un
ouvrage plus complet.
De fait, Fournier est
en pleine rédaction du Grand Meaulnes et ces courts récits lui
fournissent la matière du futur roman.
On trouve ainsi dans
Portrait l'ambiance du lycée de province, la féerie du cirque, la
nostalgie de l'enfance, les amitiés adolescentes, l'ombre du
suicide. On y trouve aussi, sous forme de trace, les deux figures de
femmes qui hantèrent l'existence d'Alain-Fournier : la jeune fille
des rencontres miraculeuses, qui préfigure "la demoiselle du Pays
sans nom" [1]; l'amie ou la confidente, que l'on traite parfois
durement, et qui servira de modèle à la Valentine du Grand Meaulnes.
On y trouve enfin la marque étrange de cette génération de poètes ou
d'écrivains - Alain-Fournier, Paul Drouot, Ernest Psichari, Jean de
La Ville de Mirmont, Gustave Valmont, André Lafon, Emile Despax,
Louis Pergaud, Paul Gilbert, et combien d'autres - hantée très tôt
par cette guerre qui allait les faucher en peine jeunesse.
Eugène Charles.
Portrait : Nous
savons ce que c'est que d'avoir du regret, du remords... de la
contrition sans avoir failli et sans rien avoir à se reprocher; du
péché sans avoir péché et que ce sont les plus profonds et les plus
ineffaçables. Charles Péguy.
Il se nommait Davy. Je
l'avais connu, à quinze ans, au lycée de B., où j'ai préparé — dix
mois — le concours de l'Ecole Navale. Il devait être fils de pêcheur
ou de matelot. Il portait, à la promenade, une pèlerine trop courte,
comme nous tous, mais la sienne laissait passer deux énormes mains
gourdes et gonflées.
Il était peu
remarquable. A voir sa petite tête basse et son corps d'adolescent,
vous n'eussiez pas deviné sa vigueur extraordinaire. Sa laideur même
était insignifiante. Il avait les traits courts, et la bouche
avancée, comme un poisson ; des cheveux sans couleur qu'il lissait
avec sa main lorsqu'il était perplexe...
J'ai vécu longtemps
près de lui sans le voir. Il était vétéran dans ce lycée où
j’arrivais. Il fréquentait un groupe où je n'avais nulle envie
d'entrer. C'étaient une dizaine d'anciens mousses de « La Bretagne
», grossiers et taciturnes, préoccupés seulement de fumer en
cachette. Ils ne s'appelaient entre eux que par leurs sobriquets :
La Bique, Coachman, Peau-de-chat... Et lorsque, pour la première
fois, je m'adressai poliment à Davy : « Dis donc, Davy, s'il te
plaît... » il me regarda d'un œil morne, et, se frottant d'une main
la peau du visage qu'il avait fort déplaisante, il me donna ce
renseignement :
— On ne m'appelle pas
Davy; mon nom, c'est Peau-de-Chat.
Puis, se tournant vers
son voisin, il se prit à rire lourdement.
Longtemps, j'évitai de
lui parler. Je l'apercevais parfois dans un groupe, faisant des
tours de force ou donnant à la ronde des claques, avec ses larges
mains molles qui faisaient rire tout le monde. Il semblait aimer sa
misère. Je lui en voulais de n'être pas plus malheureux. Et je
passais les récréations avec des externes distingués qui
m'interrogeaient sur Paris, les théâtres...
Vers le mois de mai,
Davy qui travaillait son examen avec application fut classé premier,
en même temps que moi, dans une composition, française ou latine, je
ne me rappelle pas. Ceci nous rapprocha. Parfois, en étude, il
venait comparer sa version à la mienne ; et nous causions un
instant. Il n'était pas satisfait comme je l'avais cru. Il avait,
comme tous les autres, l'immense désir d'être un jour officier de
marine, mais il n'espérait pas y parvenir. Je n'ai même jamais vu de
jeune homme à ce point dépourvu d'espérances. Il parlait de lui-même
avec un mépris absolu. Et lorsque je lui faisais quelque éloge, il
avait une façon de hocher la tête et de souffler du nez... Pourtant
je lui ai connu aussi des instants d'abandon, des gestes pleins de
douceur et de gaucherie ; il faisait l'aimable, le plaisant ; il
disait de petites phrases bêtes qui le rendaient tout-à-fait
ridicule.
De ces conversations, maintenant que je sais ce qu'il est advenu de
Davy, maintenant, je cherche vainement à retrouver quelques bribes.
Nous ne parlions qu'examens et compositions. Il ne me serait pas
venu à l'idée de lui parler d'autre chose. Et cependant il me reste,
de ces mois d'été 1901, deux ou trois souvenirs que je veux fixer
ici pour mon inquiétude et pour mon regret...
Le matin, de très bonne
heure, nous descendions dans la cour, et l'on nous accordait une
courte récréation avant de rentrer en étude. C'était une petite cour
pavée, tout entourée de murs. A cette heure, le soleil n’y donnait
pas encore. Nous étions plongés dans une ombre glacée. Mais sur le
toit voisin de l'Hôtel des Postes, nous apercevions, en levant la
tête, les fils du télégraphe bleuis, dorés, rougis par le soleil
levant et qui tremblaient sous le chant de mille petits oiseaux.
Personne ne criait ni
ne jouait. Certains fumaient une cigarette, cachée dans la creux de
leur main, au fond de leur poche, et se promenaient de long en large
sous le préau ; les autres s'entassaient auprès d'un portail
condamné, dans une sorte de trou formé par une brusque descente qui
mettait la cour de niveau avec la rue voisine. On s'asseyait, les
jambes pendantes, sur les parapets de ce trou, sur les crochets de
fer qui condamnaient le portail. On ne voyait pas dans la rue, mais
parfois, contre les battants, tout près, tout près de soi, on
entendait le pas de quelqu'un qui s'éloignait...
Tous, nous avions la
tête lourde, l'estomac vide, une fièvre lente... Il y avait parfois
de brusques réveils de cette torpeur, une poussée, de grandes tapes.
« La Bique » interpellait « Peau-de- Chat ». Des rires. On faisait
sauter bien loin le livre ou le béret de quelqu'un, et tous
couraient après... Puis, lentement, les uns après les autres, ils
venaient se rasseoir.
C'est par un de ces
matins-là, vers la fin de la récréation, que je découvris, dans une
anthologie, une page de Dominique :
La distribution
avait lieu dans une ancienne chapelle abandonnée depuis longtemps,
qui n'était ouverte et décorée qu'une fois par an pour ce jour-là.
Cette chapelle était située au fond de la grande cour du collège ;
on y arrivait en passant sous la double rangée de tilleuls dont la
vaste verdure égayait un peu ce froid promenoir. De loin, je vis
entrer Madeleine en compagnie de plusieurs jeunes femmes de son
monde en toilette d'été, habillées de couleurs claires, avec des
ombrelles tendues qui se diapraient d'ombre et de soleil. Une fine
poussière, soulevée par le mouvement des robes, les accompagnait
comme un léger nuage, et la chaleur faisait que des extrémités des
rameaux déjà jaunis une quantité de feuilles et de fleurs mûres
tombaient autour d'elles, et s'attachaient à la longue écharpe de
mousseline dont Madeleine était enveloppée... etc.
Jusqu'à ce passage, que
je cite aujourd'hui par cœur :
...Et quand ma
tante, après m'avoir embrassé, lui passa ma couronne en l'invitant à
me féliciter, elle perdit entièrement contenance. Je ne suis pas
bien sûr de ce qu'elle me dit pour me témoigner qu'elle était
heureuse et me complimenter suivant l'usage. Sa main tremblait
légèrement. Elle essaya, je crois de me dire :
« Je suis bien
fière, mon cher Dominique », ou « c'est très bien »
Il y avait dans ses
yeux tout-à-fait troublés comme une larme d'intérêt ou de
compassion, ou seulement une larme involontaire de jeune femme
timide... Qui sait ! Je me le suis demandé souvent, et je ne l'ai
jamais su.
Lecture comme une
longue épingle fine enfoncée dans le cœur de l'adolescent que
j'étais... Je ne pus supporter de la garder pour moi seul. Je me
levai. Je marchai un instant, tenant le livre ouvert à la page, et
j'aperçus Davy, immobile, adossé contre le mur du préau. Les mains
aux poches, enfoncé dans un gros paletot bleu, il semblait grelotter
à l'ombre trop fraîche. Je lui dis : « Tiens, lis donc ça ! » Il lut
debout, lentement, et leva la tête lorsqu'il eut terminé : son
visage n'exprimait pas l'admiration que j'attendais, mais une gêne
indéfinissable et insupportable. Il eut un sourire forcé, me mit la
main sur l'épaule et se prit à me secouer doucement, en disant :
« Voilà, voilà ce qui
arrive !»
Me trompé-je et mes
souvenirs sont-ils déformés par ce que je sais maintenant : il me
semble qu'à cette époque Davy modifia légèrement ses habitudes. Il
quittait parfois ses amis et s'insinuait dans le groupe des externes
« pour voir ce que nous disions ». Je le vis s'appliquer à des
tâches que l'examen ne réclamait pas. On nous faisait lire à tour de
rôle, à la fin des classes de français ; et les anciens mousses, qui
n'avaient pas à cet égard comme les externes des prétentions,
méprisaient cet exercice. Or on vit un jour Davy s'essayer à bien
lire. Ce fut un effort que le professeur encouragea, mais dont
l'échec fut complet. Il s'efforçait de lire avec naturel ;
c'est-à-dire qu'il donnait aux dialogues de Corneille le ton détaché
d'une conversation ; il faisait disparaître tous les e muets avec
tant de hâte et tant de gêne que le souffle lui manquait avant la
fin des phrases... Dans la cour, le soir, au milieu de ses
compagnons ordinaires, il se mit à contrefaire soudain sa lecture
essoufflée, puis il se prit à rire follement en distribuant au
hasard des bourrades et des coups de pied.
A quelque temps de là,
au début de juillet, le Cirque Barnum vint à Brest. J'errais, un
matin de congé, dans la banlieue déserte de la ville, lorsque je
rencontrai Davy, désœuvré comme moi, qui me proposa de descendre
vers la Place du Vieux-Port, où l'on achevait de monter le cirque
américain.
Toute une vie
extraordinaire s'était installée sur la place naguère semée de
tessons et de cailloux comme un terrain vague. Des personnages
exotiques glissaient entre les tentes carrées en nous regardant du
coin de l'œil. Des serviteurs, en silence, se hâtaient vers une
tâche que nous ne connaissions pas. Tout là-bas, des réfectoires
immenses, montait, par bouffées, un bruit énorme de vaisselle
remuée.
Ici, à l'ombre des
arbres, des chameaux somnolaient ; un grand diable vêtu de toile
s'efforçait de les réveiller et leur tenait en anglais un petit
discours que Davy et moi nous avons compris. Dans la partie haute de
la place, un éléphant poussait un tronc d'arbre et, sous les taches
alternées d'ombre et de soleil, deux hommes étrangement enveloppés
dans des pagnes, l'encourageaient d'un mot guttural,
incompréhensible et toujours le même.
Il était près d'onze
heures, lorsque, à regret, nous descendîmes vers la ville, en
suivant les grandes tentes blanches et grises, comme un long mur où
le soleil donnait. Je commençais à souffrir de la soif, de cette
soif du matin, qui ne s'apaise pas avec du vin, mais qui donne le
désir de s'asseoir à l'ombre sur l'herbe fraîche et de regarder
couler l'eau d'un ruisseau. Je voulais demander à Davy s'il avait
soif aussi, lorsque soudain le vent d'été, soulevant un pan du mur
de toile, nous découvrit un coin du campement. Tous les deux, nous
regardâmes avec curiosité... C'était, entre les tentes, une sorte de
cour intérieure, qui me parut immense. Au fond, assise à l'ombre et
nous tournant le dos, une jeune fille, qui devait être une écuyère,
lisait. Sur son cou délicat retombaient ses cheveux noués. Elle
était renversée dans sa chaise et ne nous voyait pas. Elle
paraissait si loin de nous, dans un jardin si frais, si paisible et
si beau, qu'il nous semblait l'avoir découverte avec une lunette
d'approche.
Je me tournai vers mon compagnon et je lui souris. Il me regarda
fixement une seconde et leva la main comme pour me dire : Ne fais
pas de bruit... Puis, avec précaution, il rabattit le morceau de
toile, et nous partîmes tous les deux à pas de loup.
C'est peu après que je
quittai le lycée de B. En fouillant dans mes souvenirs, je ne revois
plus Davy qu'un soir, le soir du 14 juillet de cette année-là. Ce
jour de fête s'était terminé par un défilé de gens des faubourgs,
sous des lampions enflammés, qui chantaient des refrains ignobles. A
onze heures, Davy et moi nous décidâmes de rentrer. Dans la rue du
lycée, déserte, des lanternes brûlaient. Ailleurs, bien loin, ce
devait être une extraordinaire nuit d'été. Une fille de notre âge,
que nous connaissions je ne sais comment, nous rencontra et nous
annonça fièrement :
— Vous savez ? J'ai été
raccrochée par deux officiers !...
Avec une espèce de rire
tremblant et colère, Davy lui répondit :
— Eh bien ! Si jamais
j'arrive officier, c’est pas encore après toi que je courrai !
Et il me regarda, sûr
de mon approbation, comme s'il voulait dire : « Nous savons bien,
nous, après quelles femmes nous courrons… »
Il y a dix ans que je
n'ai pas revu Davy et je sais maintenant que je ne le reverrai
jamais. Je n'ai pas d'autre souvenir de lui que deux anciennes
cartes postales auxquelles je n'ai pas songé à répondre, et cette
coupure d'un journal récent :
Un enseigne de
vaisseau, François Davy, âgé de vingt-quatre ans, embarqué à bord du
croiseur X., s'est tiré, ce matin, un coup de revolver d'ordonnance
dans la bouche. Désolé d'avoir été éconduit par le père d'une jeune
fille qu'il aimait, il écrivit à son frère une lettre désespérée et,
s'enfermant dans une chambre qu'il avait louée à B., tenta de mettre
fin à ses jours.
Il eut la boîte
crânienne traversée.
Il a été transporté
dans un état désespéré à l'Hôpital Maritime
Qui eût jamais pensé
cela de Davy ! personne ne comprend. Il avait si bien réussi. Il
était si fier. Il avait dit : « Maintenant que je suis reçu, je me
fous de tout ! » Son frère voulait arriver comme lui. Ses parents ne
faisaient rien sans le consulter...
Il agonise, maintenant,
derrière une porte. Il est midi. Les médecins l'ont laissé. Dans le
couloir désert, un matelot passe en jetant de la sciure de bois.
Les journaux racontent
son histoire. Ce fut l'histoire la plus simple et la plus honnête :
Une jeune fille qu'il voulait épouser. Il l’avait aperçue,
disent-ils, pendant un congé, dans le pays de ses parents. J'imagine
cette promenade où il la rencontra. Par une fin de matinée bretonne,
pluvieuse et romanesque, une jeune fille se penche à la balustrade,
ou disparaît avec un sourire entre les arbres mouillés du jardin...
Ah ! dès ce premier
sourire, mon frère, je sais le grand désespoir qui t’a gonflé le
cœur !
Il passait, en petite
tenue, une badine à la main, sifflotant... Il se trouva soudain
affreusement gauche et bête et laid. Il se rappela Dominique ; il se
rappela cette matinée où nous avions découvert la jeune fille
américaine dans le jardin du cirque. Cette fois, il était tout seul,
perdu sur cette route difficile, dans ce pays du romanesque où je
l’avais inconsidérément mené. Je n’étais pas là pour l’encourager,
pour lui tendre la main à ce dur passage. Rentré chez lui, il pensa
m’écrire, puis il se souvint de ses cartes postales restées sans
réponse. Alors il décida de ne rien dire à personne...
Alain-Fournier
Remerciements
informations complémentaires : Emmanuel Le Bret
Remerciements Stéphane
Giran
Remerciements à Gilles Jogerst / Généamar pour ses recherches
et la mise à disposition de ses données
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-aviation-marine/marine-1914-1918/liste_sujet-1.htm
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