-
Officiers et anciens élèves -
Vicomte Jules Antoine René
MAILLARD de La GOURNERIE
(1814 - 1883)

Né à Nantes, le 20
décembre 1814 à NANTES (Loire Atlantique) - Décédé le 26 juin 1883 à
PARIS (Seine)
Appartenant à une ancienne famille dont beaucoup de
membres avaient servi avec distinction dans l'armée, il s'était
d'abord destiné à la profession de marin.

Dirigé par une mère dont l'intelligence était à la hauteur de ses
qualités morales, Jules de la Gournerie se présenta, en 1830, aux
examens de l'Ecole navale et fut admis le premier sur la liste.
[Jules était le fils de Jacques-Antoine de la Gournerie et de Marie
Julie Catherine de Talhouet-Grationnay].
Sorti du vaisseau-école à la fin de 1831, de la Gournerie fut
employé, pendant plus d'une année, au service de correspondance et
de transport de troupes qu'exigeait la récente occupation de
l'Algérie, entre Toulon et Alger.
Une altercation avec un lieutenant de vaisseau, qui lui avait donné
un ordre sur un ton peu convenable, vint brusquement interrompre sa
carrière. Traduit, comme le voulait la discipline, devant un conseil
de guerre, en décembre 1832, il fut acquitté et maintenu dans son
grade.
Mais un pareil début n'était pas fait pour l'encourager; sollicité
d'ailleurs par un goût prononcé pour les Mathématiques, il se
présenta, en 1833, à l'Ecole Polytechnique où il fut admis le
quatrième de sa promotion, après moins d'une année de préparation.
Il en sortit en 1835, dans les Ponts et Chaussées, et, dès son
entrée dans la carrière d'ingénieur, il eut l'heureuse chance de se
trouver sous les ordres d'un chef éminent, Léonce Reynaud, qui ne
tarda pas à distinguer le mérite de son jeune camarade et même à
comprendre qu'il pouvait se reposer sur lui du soin d'achever
l'œuvre merveilleuse qu'il avait entreprise aux Ileaux de Bréhat, ce
phare qui, fondé sur un récif à peine découvert à marée basse,
devait atteindre une hauteur de 50 m, en présentant des formes aussi
gracieuses que rassurantes pour l'œil le moins exercé.
Pendant les quatre années que durèrent encore ces travaux délicats
et dangereux, la Gournerie donna, à la fois, des preuves d'une
vigilance éclairée, en préservant la santé du personnel qui lui
était confié, et la mesure de son talent d'ingénieur doublé d'un
appareilleur hors ligne, car il fit lui-même toutes les épures, tous
les dessins d'exécution d'un monument qui présentait des difficultés
de construction peu ordinaires, avec les courbes savantes de son
élégant profil.
Après ce coup d'essai, la Gournerie pouvait être employé partout,
mais son inclination naturelle le portait toujours à rechercher les
travaux maritimes. C'est ainsi qu'il prit part à la construction de
la grande jetée du Croisic et qu'aussitôt après il contribua, plus
que personne, à la création du bassin à flot qui a fait de
Saint-Nazaire l'un des meilleurs ports de l'Europe.
Au Croisic, pour effectuer l'extraction des roches qui obstruaient
le chenal, la Gournerie, s'inspirant d'une idée de Coulomb qui
n'avait pas encore été appliquée, employa une sorte de bateau
sous-marin qui l'aida à triompher de difficultés jugées presque
insurmontables.
A Saint-Nazaire, les qualités de la Gournerie devaient subir la plus
rude épreuve, car il eut à lutter là à la fois avec les éléments et
avec des préjugés d'autant plus dangereux qu'ils étaient enracinés
dans l'esprit d'un homme qui avait fait ses preuves et avait bien
plus d'autorité qu'un débutant placé sous ses ordres.
Jamais peut-être un simple ingénieur ne montra plus de sûreté de
jugement et de fermeté de caractère. Pressentant l'insuccès du
projet de son ingénieur en chef, insuccès qui eût enrayé pour
longtemps l'avenir de Saint-Nazaire, au risque de compromettre sa
carrière, il refusa pendant cinq ans de s'y associer et fit un
contre-projet qu'il eut la satisfaction de voir soutenir et
développer par un nouveau chef, M. Jégou d'Herbeline [Auguste Jégou
d'Herbeline (1887-1880)], et adopter par le Conseil des Ponts et
Chaussées. On le chargea de l'exécuter et, lorsque, en 1850, il
quitta ce service pour occuper la chaire de Géométrie descriptive, à
laquelle il venait d'être appelé sur la recommandation éloquente de
Léonce Reynaud, les travaux étaient assez avancés pour que l'on pût
considérer la création du port de Saint-Nazaire comme assurée.
Sa carrière d'ingénieur était terminée, et bien qu'elle eût été
courte, on doit reconnaître qu'elle n'avait pas moins été très
brillante.
Les travaux scientifiques auxquels il se livra, autant par goût que
pour répondre à la confiance qu'on lui témoignait, les services
qu'il a rendus à l'enseignement, à l'Ecole Polytechnique depuis 1850
et au Conservatoire des Arts et Métiers depuis 1854, quoique d'un
autre ordre, lui firent tout d'autant d'honneur.
L'œuvre de la Gournerie, comme géomètre, a été appréciée avec une
grande faveur par les juges les plus autorisés. En Angleterre M.
Cayley, en France Poncelet, Chasles et M. J. Bertrand se sont plu à
signaler l'originalité de la plupart de ses mémoires de Géométrie
pure.
Dans son double enseignement, à l'École comme au Conservatoire, il
s'est beaucoup moins préoccupé de faire montre de sa science que de
mettre ses auditeurs à même de résoudre sûrement les problèmes,
d'ailleurs si délicats, qui se présentent dans l'art des
constructions, dans les arts graphiques et jusque dans la décoration
théâtrale. Ses mémoires sur les arches biaisés, si remarqués et si
utiles aux ingénieurs de chemins de fer, son Traité de Géométrie
descriptive et son Traité de Perspective sont les monuments d'une
longue et patiente étude critique de méthodes plus anciennes qu'on
ne le croyait généralement et des applications si variées, si
intéressantes d'une science qui a été cultivée avec un grand succès
par plusieurs géomètres français éminents, dans le même temps que
nos admirables architectes, nos maîtres tailleurs de pierre et nos
maîtres charpentiers parvenaient, à force d'art et de science, à
surmonter habilement les difficultés nées de conceptions
monumentales hardies ou gracieuses.
L'École Polytechnique a eu l'heureux privilège de voir la Géométrie
descriptive prendre chez elle toute l'importance qu'elle méritait,
grâce à l'influence de Monge qui lui a même donné le nom qu'elle
porte. De la Gournerie a eu le mérite incontestable de remonter plus
haut et de renouer des traditions que notre nouvelle organisation
sociale court le risque de compromettre. Ses leçons au Conservatoire
des Arts et Métiers ont certainement contribué à les entretenir et
l'on pourrait dire à les mieux diriger chez nos ouvriers et chez nos
artistes.
On sait que ses excellents préceptes ont été heureusement introduits
par plusieurs de ses auditeurs dans les chantiers, et les
explications qu'il a données des dérogations aux règles étroites de
la perspective linéaire par les plus grands peintres, qui ont
employé de préférence des tracés intuitifs beaucoup plus
satisfaisants pour le spectateur, ont été très goûtées de ceux qui
sont le plus intéressés à bien s'en rendre compte.
« Ses persévérantes études, dit M. J. Bertrand (Discours prononcé
aux funérailles de la Gournerie le vendredi 29 juin 1883),
appréciées et mises, chaque année, à profit par les professeurs de
l'École des Beaux-Arts, forment peut-être la partie la plus
originale de son œuvre et la plus digne de conserver, dans
l'histoire de la science, le souvenir d'une carrière si bien
remplie. »
Ayant déjà quitté sa chaire de Géométrie descriptive pour devenir
examinateur des élèves, parce qu'il avait été atteint prématurément
d'un asthme très fatigant, de la Gournerie songeait à la retraite,
dès 1878, quand l'Académie des Sciences l'appela dans son sein en
qualité de membre libre. Très sensible à ce témoignage d'estime
qu'il avait à peine sollicité, l'infatigable travailleur, pour
répondre à la confiance de ses nouveaux confrères, se remit à
l'œuvre et entreprit, notamment sur les travaux de l'illustre
Bouguer, une étude qu'il a laissée malheureusement inachevée, mais
dont les parties qu'il a publiées présentent un grand intérêt
historique et témoignent autant de son énergique volonté à découvrir
la vérité que de son érudition, de sa sagacité et de son ardent
patriotisme.
Cet éminent esprit appartenait, en effet, à la race heureusement
encore assez nombreuse en France, qui prise plus haut le bien public
et l'honneur du pays que les avantages matériels de positions plus
ou moins brillantes.
Il nous serait aisé de fournir des preuves multipliées de
l'élévation de caractère de cet homme de bien. Nous nous bornerons à
donner l'extrait suivant de la notice autobiographique préparée pour
ses enfants, qu'il nous a communiquée lui-même quelques jours avant
sa mort, dont il s'entretenait avec une sérénité admirable :
Mes enfants viennent de voir que mon frère Paul et mon neveu Antoine
ont été tués, les armes à la main, l'un en Kabylie, l'autre à Broué
(armée de la Loire). Je ne dois pas leur laisser ignorer que M.
Baudry-Duplessis, fils de la seconde sœur de mon père et capitaine
d'infanterie, a été tué, le 19 février 1814, à Montereau. Il suit de
là et de ce que j'ai dit de la part prise par ma famille aux guerres
de la Vendée, que onze de mes parents, dont les plus éloignés sont
cousins-germains de mon père ou de ma mère, sont morts glorieusement
à l'armée par le feu.
Tout commentaire serait superflu, mais nous devons ajouter les
leçons de dévouement et d'héroïsme, que de la Gournerie donnait à
ses enfants, étaient un héritage qu'il avait reçu lui-même de sa
vénérée mère, laquelle, encore très jeune, au plus fort de la
tourmente révolutionnaire et de la guerre civile, avait été un
modèle de grandeur d'âme et de dévouement.
De la Gournerie avait un titre nobiliaire (il était vicomte), qu'il
n'affichait guère et dont il eût eu cependant le droit de
s'enorgueillir, sa famille s'étant, de très ancienne date,
distinguée par ses services; mais, bien que fort attaché aux
croyances et aux opinions de sa race, il n'avait aucune morgue et
était bien convaincu que les qualités et le mérite individuels
valent autant que tous les parchemins. Ses amitiés, ses préférences
à l'École Polytechnique et, plus tard, dans le monde, témoignaient
de cette indépendance de son esprit ouvert à tout ce qui était élevé
et, par conséquent aussi, véritablement noble.
Il serait, croyons-nous, difficile de trouver réunies chez la même
personne, un ensemble de qualités plus brillantes et plus solides à
la fois que celles que nous venons de rencontrer chez ce savant de
grand mérite, qui fut un homme d'un grand caractère.
A. Laussedat.
Ce texte a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole
polytechnique, 1897.

Extrait La liberté / 27 juin 1883

Extrait Le Siècle / 30
juin 1883





Remerciements Bernard Dulou
Source Web
Retour Officiers
et anciens élèves |