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- Officiers et anciens élèves -

 

 

Christine Allain

(19.. - 20..)

 

18 mars 2014 / Photo Marine Nationale

 

 

Extrait Le Figaro / 24 aout 2009

Elle a 34 ans, des yeux rieurs. Sur son bateau de guerre, elle dirige 90 hommes qu'elle a emmenés au large de la Somalie puis dans le golfe Arabo-Persique pour prendre part à la guerre d'Afghanistan.

Le Commandant Bouan est un vrai bateau de guerre. Un aviso construit pour la guerre froide. Les plafonds sont bas, les coursives étroites coupées par des portes étanches fermées par de gros volants.

Chaque espace disponible est occupé par une arme, canons de 100 et de 20 mm, mitrailleuses, missiles mer-mer et mer-air, tubes lance-torpilles. Un bateau d'hommes. Il y en a plus de 90 à bord. Et une femme. C'est le commandant. Ce 11 août, le bâtiment rentre à son port d'attache. Le vent souffle à 25 nœuds sur la rade de Toulon. Il va falloir faire appel aux remorqueurs pour plaquer l'aviso contre le quai. Sur la passerelle, cheveux aux vents comme d'habitude, le capitaine de corvette Christine Allain donne des ordres précis. Les derniers d'une campagne commencée le 27 avril et qui l'a menée à la chasse aux pirates au large de la Somalie, dans le cadre de la force européenne Atalanta, puis dans le golfe Arabo-Persique pour prendre part à la guerre d'Afghanistan.

Christine Allain est l'une des deux femmes commandant un bâtiment de la Marine nationale. À 34 ans, un âge précoce pour ce genre de responsabilité. Comme elle commande une unité, on l'appelle «commandant». Pas question de dire «commandante». De toute façon, l'équipage ne semble ne pas faire la différence. «Pendant une semaine, ils ont vu la femme, puis ils n'ont plus vu que l'officier.»

Le commandant n'a rien d'un garçon manqué. L'œil est rieur, la féminité tranquille. Dans sa petite cabine bureau, une panthère en peluche est lovée sur la bannette, souvenir de son premier commandement, le Panthère, un bâtiment école. Un étui à guitare dans un coin, plus facile à emporter en mer qu'un piano, son instrument préféré, sur lequel elle joue du classique ou des chansons de Beatles. L'environnement est plutôt maritime, avec des gravures de voiliers anciens. Sur des bâtiments plus grands, les équipages sont mixtes, mais les avisos sont trop étroits pour y installer des espaces pour les filles. La mixité est réservée aux officiers, les seuls à disposer de cabines individuelles ou à deux. Christine Allain ne s'est pas retrouvée là par hasard. «Depuis quinze ans, j'ai toujours été embarquée. C'est un choix. Je ne pense pas que je pourrais commander un aviso si j'étais mère.» Aucune des trois autres filles de sa promotion de l'École navale ne navigue. Raisons familiales, mariages, enfants. Christine Allain y pense. Espère bientôt poser sac à terre, pour faire un bébé. Son compagnon l'attend dans le carré, en jean, devant une bouteille de champagne rosé. Il a les yeux rieurs comme elle. Lui aussi est officier sur un bateau de la Marine nationale. Rencontré au hasard des missions, après un divorce - d'avec un autre marin. La Marine, milieu réputé plutôt «tradi», évolue comme le reste de la société. À tout changement, il faut des pionniers.

Quand Christine Allain intègre Navale en 1994, à 19 ans, c'est seulement la deuxième année que la prestigieuse école d'officiers accepte des filles. Quatre sur 75. À l'époque, les garçons ne se sont pas encore faits à cette nouveauté. «J'ai eu l'impression d'une mise à l'écart. Ce n'était vraiment pas facile. Mais ça forge le caractère.» Aujourd'hui, tous les hommes du bâtiment sont sous ses ordres, et elle ne peut s'empêcher d'y voir «une petite revanche». Mais les choses ont bien changé, ajoute-t-elle. «Maintenant, les femmes dans la Marine, c'est devenu banal.» En 1994, elle tient bon parce qu'elle veut suivre un chemin qu'elle s'est tracé seule. Ni Bretonne ni descendante d'une famille de marins, elle est née loin des flots, dans le 93, à Épinay-sur-Seine. Père ingénieur, tout comme son frère. Mère au foyer. Le futur commandant est bonne élève : lycée franco-allemand, bac à 17 ans, prépa à Janson-de-Sailly. Elle veut d'abord devenir pilote d'hélicoptère, et l'aéronavale lui paraît le meilleur cadre. Un cadre militaire, «pour la discipline, pour servir son pays, pour faire un métier pas comme les autres».

Ses parents la voient partir avec un peu d'inquiétude. À 19 ans, reconnaît-elle, on a encore une vision un peu enfantine des choses. «Pour moi, c'était une école où on porte un uniforme, d'où l'on sort avec un diplôme d'ingénieur, où l'on fait un tour du monde sur la Jeanne d'Arc…» Elle découvrira un monde. «Les responsabilités, l'expérience humaine, le côté vrai des relations. Quand on vit quatre mois tous les jours avec les mêmes gens, on ne peut pas jouer un personnage. Les masques tombent.» Pas d'autre possibilité, il faut être soi-même. «Je n'ai pas essayé d'être un homme. D'ailleurs, quand on me dit que ce n'est pas un métier de femme, je réponds que ce n'est pas forcément un métier d'homme en général.

Il y en a beaucoup qui ne pourraient pas le faire.» Inversement, il en est beaucoup d'autres qui sont faits pour la Marine, ajoute-t-elle, «y compris des femmes, mais ils ne le savent pas». Le style du commandement «dépend surtout de l'expérience professionnelle. On se réfère plutôt à tel ou tel officier que l'on admire.» Sortie de l'école, Christine Allain choisit le large. Embarque sur des frégates, obtient son premier commandement à 26 ans, celui du bâtiment école, puis se retrouve à 28 ans officier d'opérations sur l'aviso Commandant Birot. Déploiement dans l'océan Indien et le Pacifique, exercice avec les Marines japonaise, chinoise, coréenne, singapourienne et australienne, chasse aux bateaux de trafiquants de drogue. Des moments forts, comme ce jour où une vitre de la passerelle explose en pleine tempête. En 2005, à 30 ans, elle est chef du service de lutte anti-sous-marine, puis commandant adjoint des opérations sur la frégate Jean de Vienne. Elle organise l'activité du bâtiment à la mer, est responsable du système d'armes. L'été 2006, le bâtiment est envoyé près des côtes du Liban. La zone n'est pas de tout repos. Le Hezbollah libanais vient de frapper une vedette israélienne au lance-missiles. Les Israéliens sont nerveux. Le Jean de Vienne recueille des réfugiés libanais. «J'étais très jeune pour le poste, j'ai dû asseoir ma crédibilité.»

Cela a dû réussir, puisqu'elle obtient le commandement du Commandant Bouan en juin 2008, avec le grade de capitaine de corvette. Une petite sensation dans la Marine nationale. Ses six décorations lui servent de carte de visite auprès de son nouvel équipage. Mais, malgré tout, reste une question qu'il faut évacuer. Sa promotion rapide a-t-elle quelque chose à voir avec le fait qu'elle est une femme, la Marine aurait-elle des arrière-pensées en termes de communication ? Elle s'en ouvre à un responsable. La réponse vient rapidement : «Vous croyez qu'on a les moyens de confier un bateau à quelqu'un qui ne le mérite pas ?»

La campagne antipirates apportera son lot de défis. Un jour, il faut donner l'ordre de tirer. «On n'entendait pas un souffle sur la passerelle.» Les circonstances restent du domaine du confidentiel- défense. Tout juste peut-on dire que le Commandant Bouan a fait échouer deux attaques contre des cargos et recueilli des réfugiés. Mission remplie, retour à Toulon, et permission d'un mois pour l'équipage. Le commandant Allain et son compagnon vont en passer une partie à aménager l'appartement acheté à Toulon, au cœur du dispositif de la marine de guerre. Le Charles de Gaulle y est ancré, attendant de repartir bientôt, ses avaries réparées. D'autres silhouettes massives se profilent, celles des énormes navires à tout faire qui peuvent transporter des troupes ou embarquer un état-major. Le séjour à terre souhaité par le commandant Allain ne durera peut-être pas éternellement. En attendant, Christine projette une promenade sur l'Etna, pour assouvir sa passion des volcans, et de visiter l'Australie, à cause des grands espaces.

Le Commandant Bouan, lui, va subir une cure de jeunesse. La guerre froide est finie. On va lui enlever ses torpilles et ses missiles Exocet, l'équiper avec du matériel de communication sophistiqué. Plus question de démolir des porte-avions soviétiques. La menace est plus diffuse. La dernière mission de l'aviso et de son commandant de 34 ans préfigure une ère nouvelle.

Source Web

 

 

 

 

 

Commandant du Centre d'Interprétation et de Reconnaissance Acoustique (CIRA), à Toulon le Mardi 18 Mars 2014.

 

Capitaine de frégate (R)

 


 

 

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